vendredi 14 décembre 2007

Renaissance d'un atelier d'art : Pierre et Ariane Campo : ils ont des “formes” !

Il y a cinq ans, Ariane et Pierre Campo se sont lancés dans une aventure extraordinaire. Depuis, leur vie gravite autour des grands noms de la sculpture, Carpeaux, Clodion, Falconet Houdon. En modelant la terre cuite, ils ont ainsi renoué avec un savoir-faire unique qu’ils perpétuent avec passion et talent.

En pénétrant dans l’atelier, il est difficile de ne pas la remarquer. Marie-Antoinette trône sur la table, superbe et terriblement émouvante. À son cou, pend un médaillon où se dessine le célèbre profil de Louis XVI. La gracile jeune femme sourit, figée dans l’éternité par Félix Lecomte (1). Bientôt, Pierre Campo s’attardera sur son visage pour en préciser la finesse et dessinera la précieuse dentelle de son corsage. « C’est une commande » souligne-t-il. Un jour prochain, la reine déchue rejoindra un collectionneur qui l’entourera de mille attentions...
Il y a cinq ans que Pierre Campo et Ariane, son épouse, ont créé cet atelier de sculpture à Puydrouard, non loin de Rochefort. L’endroit est accueil-lant et joyeusement peuplé. Dans une sorte de jubilation, l’art se promène sur les étagères, réunissant époques de charme et lignes élégantes. Au royaume de la terre cuite, une myriade de personnages saluent le visiteur : angelots, créatures mythologiques, bustes de femmes raffinées, hommes connus, animaux. 700 modèles sont disponibles et la renaissance de la plupart d’entre eux n’était pas inscrite dans les astres.




Un véritable défi

L’histoire de cet atelier est originale. À la fin du XIXe siècle, Georges Caronesi, arrière grand-père d’Ariane, est sculpteur modeleur aux Lilas, à Paris. Il a autour de lui plusieurs ouvriers et son fonds comprend des modèles hérités du temps d’avant, ceux d’Omer en particulier. Le catalogue de l’époque est touffu et pour cause, cette activité est florissante dans la capitale. Depuis la Révolution, la société a évolué. Finie l’époque où les mécènes passaient commande aux artistes qui réalisaient des pièces importantes et uniques. S’étant enrichie, la bourgeoisie n’a pas les mêmes aspirations. Elle aime à orner salles à manger et salons avec des objets - souvent fabriqués en série - d’un bel effet. Plus tard, elle sera rejointe par la classe ouvrière. L’ère de la décoration précède la future société de consommation !
Après la seconde guerre mondiale, Jean Varoqueaux, gendre et successeur de Georges Caronesi, installe son unité de fabrication à Bergerac, en Dordogne. La mode a changé. La terre cuite, dont la technique est difficile, ne captive plus le public et la main d’œuvre spécialisée manque. Il opte alors pour la poterie et travaille pour Joséphine Baker, la voisine des Milandes.
Bien qu’ayant pris une autre direction, il a gardé une grande partie des formes qu’utilisait son beau-père. Chez les artisans, le respect des outils du passé est une règle absolue.
Quand il disparaît, la production s’arrête définitivement. Les parents d’Ariane, qui habitent l’île d’Aix, sont alors placés devant un « héritage culturel» dont ils ne savent que faire. Personne n’en veut. Va-t-il finir à la décharge ?
Pierre, informaticien, et Ariane (titulaire d'un DESS de mathématiques) sont sensibles au problème : sous leurs yeux, se trouve un patrimoine qui finira en cendres si personne ne réagit. Leur choix est rapidement fait : les 30 tonnes de matériel destinées aux gravats, dont les fameuses formes en plâtre datant des XVIIIe, XIXe et XXe siècles, sont récupérées in extremis : « Nous étions vendredi et elles devaient être jetées le lundi suivant ! Ensemble complet, elles représentent plusieurs styles. C’est là que réside leur richesse » souligne Pierre.
Dans un premier temps, ils réalisent une base de données, autrement dit un inventaire. Ils contactent des potiers qui rétorquent justement : « C’est de la sculpture, pas de la poterie ! » ! En effet, le modelage de la terre cuite demande un véritable façonnage, donc un talent de sculpteur. « Finalement, nous avons décidé de nous lancer dans l’aventure, soucieux de sauver ce bien familial qu’il était hors de question d’abandonner ».
Conséquence immédiate, ils deviennent artistes et goûtent aux joies de la recherche et de la création. Les débuts sont un peu épiques, mais la motivation est réelle : « Nous avons commencé par des bustes que nous avons proposés sur le marché ». C’était en 2002. Les premiers acheteurs arrivent...





À la Manufacture de Sèvres

Aujourd’hui, Pierre et Ariane savent qu’ils font un métier exceptionnel : « Nous sommes deux en France avec la Manu-facture de Sèvres. Cette unité travaille pour les commandes d’État ». Leur rencontre avec les compagnons de ce lieu illustre mérite d’être contée : « il y a quelques années, le magazine Mode et Travaux nous a consacré un dossier. Par la suite, nous avons reçu une première commande de la Manufacture de Sèvres. Nous avons décidé de nous y rendre et ce fut un mo-ment magique. Nous avons été remarquablement accueillis et l’atelier n’a pas hésité à se mettre à notre portée, à nous prodiguer des conseils. Le responsable des formes m’a même appris à faire le plâtre dans la tradition ». Depuis, nos deux artistes continuent sur leur lancée et se permettent de jolies innovations. Ainsi, ce corset à galon que ne renierait pas Jean-Paul Gaultier !
À Puydrouard, les formes, tels des cocons alignés, attendent que leur maître les choisisse pour incarner une œuvre nouvelle. Non loin, la pièce d’exposition réserve des surprises : certains visages sont évocateurs et attirent le regard !
N’hésitez pas à rencontrer Ariane et Pierre Campo qui vous parleront de leur expérience peu banale. Cet atelier n’est pas un musée : c’est, au contraire, un endroit habité...



1 - Sculpteur renommé, Félix Lecomte a sculpté le buste de Marie Antoinette pour le château de Versailles . L’original est en marbre.

• Attention aux faux...

Au départ, Pierre et Ariane ont reçu la visite de spécialistes qui, alléchés par leurs sculptures, s’apprêtaient à alimenter le marché du faux. Ils ont alors réalisé la nécessité de signer leur propre travail pour qu’il ne puisse pas être attribué à une époque plus ancienne. Actuellement, les antiquaires ont de moins en moins de belles pièces. Elles partent à l’étranger et ne reviennent plus en France. « Il n’y a pratiquement plus de terre cuite ancienne sur le marché » précise Pierre. Cette information peut être utile aux éventuels acheteurs.

• Petits secrets

Toutes les formes se séparent en deux. Chaque partie accueille la terre cuite qui adopte les reliefs du modèle. Les deux côtés sont ensuite assemblés. Une fois démoulée, la sculpture, qui est creuse, apparaît. Il reste à la travailler, puis à la faire cuire et à la patiner. Les formes restent mystérieuses. Elles ressemblent à des puzzles, chaque morceau s’emboîtant pour offrir davantage de souplesse.

Atelier Campo, Puydrouard (près d’Aigrefeuille) : 05 46 09 93 79

Photo 1,3,4 : De nombreux bustes sont à admirer dans l'atelier Campo.

Photo 2 : « Les sculptures que nous réalisons s’approchent ou s’écartent des modèles connus ». Il faut savoir qu’il n’y a pas d’original en terre cuite puisque chaque pièce est sculptée selon la sensibilité du modeleur. Grâce à son expérience, Pierre a réalisé de nouvelles formes (qui s’assemblent en plusieurs morceaux). « Quand on la fabrique, il faut voir la forme en 3 dimensions. J’en ai créé une quarantaine ».

Photo 5 : La terre est achetée à la Roche-Chalais, elle n’est pas chamottée comme au XVIIIe siècle. Derrière cette statue, on découvre les formes entreposées sur les étagères.

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