samedi 9 août 2008

Qin Shi Huang : Les soldats
de l’Armée enterrée l’ont rendu immortel…

En 1974, non loin de Xi’an, ancienne capitale chinoise, un paysan fit une découverte qui "bouleversa" les milieux archéologiques. Par hasard, en creusant un puits, il mit à jour une cavité souterraine renfermant des soldats en terre cuite d’un autre âge. Ce face à face entre un homme du XXe siècle et des guerriers dormant depuis le IIIe siècle avant JC fut un moment inoubliable. Bien sûr, cet agriculteur ignorait tout de cette légion qui l’attendait dans le ventre de la terre, immobile et pourtant si présente...

L'armée enterrée (photo Nicole Bertin)

De toutes les découvertes archéologiques faites au XXe siècle, les soldats de l’armée enterrée de Xi’an, dans la province de Shaanxi, sont sans doute les plus émouvants.
Vivant il y a plus de 2000 ans, ils étaient sous les ordres de l’empereur Qin Shi Huang qui les fit reproduire en terre cuite près de son tombeau. Cette œuvre gigantesque, qui s’insère dans la construction d’un mausolée, mobilisa plus de 700.000 hommes pendant trente-neuf ans, dit-on. Alors qu’en Palestine, deux siècles plus tard, Jésus prêcherait la parole du Père céleste, en Chine, un empereur imaginait une éternité guerrière où il devrait combattre de nouveaux ennemis ou retrouver les anciens, qui sait ?

Le rêve démesuré d’un empereur obsédé par la mort

Récemment, plusieurs statues de la fameuse armée enterrée de Xi’an ont été présentées en France. Déjà connus des historiens et des passionnés de l’Empire du Milieu, ces soldats en terre cuite ont révélé au public un pan de la culture chinoise antique ainsi qu’un art dont la maîtrise peut surprendre. Ils présentent un double intérêt : ils démontrent à la fois le talent des sculpteurs - les représentations sont très réalistes - et la puissance de l’Empereur par leur importance.
Cette armée des ombres est la signature posthume d’un tyran qui se souciait fort peu de ses congénères. Son auguste personne était le centre du monde ! Elle avait néanmoins des limites. Craignant de devoir rendre des comptes dans l’au-delà, il crut bon - et opportun - de s’y faire accompagner par ses guerriers. Non pas sacrifiés physiquement (comme ce fut le cas en d’autres circonstances), mais symbolisés dans l’argile. Chacun avec leurs caractéristiques personnelles.
Par sa crainte de la mort qui tournait à la névrose, cet homme de poigne, autoritaire et peu conciliant, entraîna les siens dans ce que l’on pourrait appeler une « mégalomanie artistique du nombre » qui cache, en fait, un rituel funéraire élaboré. De l’autre côté de miroir, il ne voulait pas seul affronter les dangers. Ses hommes, incarnés dans la terre cuite, prêts au combat, le protégeraient avec armes, chars et chevaux. En conséquence, son tombeau, sous un tumulus immense, serait grandiose.
Au commencement des travaux, durant la seconde année de son règne, ses intentions étaient claires : son désir était d’emmener avec lui tout ce qu’il avait apprécié durant sa vie terrestre, son armée en particulier : « Elle est la place du brave. Ceux qui ont rendu des services méritent d’être récompensés et honorés ». Mieux, dans le cas présent, ils seraient immortalisés...
Pour parvenir à cet exploit, il lança une mobilisation générale. Face aux difficultés que devaient rencontrer les sculpteurs et les potiers de l’Antiquité, le travail était colossal. Créer près de 10.000 pièces de grande taille, dans les conditions des premiers siècles d’avant notre ère, était une tâche ardue.

Xi'an, passé et présent se rejoignent (photo Nicole Bertin)

Elle nécessita l’intervention de milliers d’artisans venant de toutes les contrées soumises. Ils purent ainsi échanger leur savoir, apprendre et peaufiner leurs expériences respectives. Toutefois, sous les ordres d’un Empereur cruel dont ils ne partageaient pas l’enthousiasme, ils ne purent exprimer librement leur esprit créatif et leur imagination. C’est pourquoi la sculpture de la dynastie Qin, rigoureuse dans son apparence, est moins sophistiquée que celle des Han. La technique de moulage utilisée semble avoir été la suivante : les différentes parties des corps étaient réalisées, puis assemblées et cuites ensemble. Les détails des visages étaient faits par d’autres équipes, en respectant les expressions de chaque individu. Quand ils furent alignés pour le grand voyage, tous les soldats affichaient une « réalité cosmique », les yeux grands ouverts et la tête droite.
Arrivée jusqu’à nous comme par un miracle, cette armée en ordre de marche permet de mieux comprendre cette dynastie, connue jusque-là par des écrits. Reflet d’une nation forte et unifiée, en apparence du moins, elle impose le respect.
Personne ne sait vraiment pourquoi elle est tombée dans l’oubli pendant plus de vingt siècles. Chaque génération a sa propre perception du temps d’avant. Les uns pensent qu’il est bon de connaître le passé, les autres estiment que les morts doivent dormir en paix. Parfois, ils sortent de leur sommeil par un hasard surprenant. C’est le cas de ces guerriers ensevelis dont le réveil n’est pas passé inaperçu. Pour preuve, des milliers de visiteurs, venant du monde entier, les contemplent chaque année. Moult présidents dont Jacques Chirac (accompagné de Didier Quentin, actuel député maire de Royan) ou Bill et Hillary Clinton les ont vus : la liste est longue !
D’immenses salles les mettent en valeur. S’approcher d’eux est une "rencontre" particulière. Les regarder dans les fosses où ils étaient disposés avec leurs chevaux provoque émotion et stupéfaction : comment un homme, si puissant fût-il, a-t-il pu orchestrer un tel chantier ?...
Le palais souterrain de Qin Shi Huang n’en finit pas de révéler ses secrets. Sa sépulture serait noyée dans des rivières de mercure afin de décourager les pillards. Dans les environs, en effet, des taux anormalement élevés de ce métal lourd ont été enregistrés. Sa mise à jour serait un événement international...

La muraille de Chine (photo Nicole Bertin)
Finalement, à quoi bon aller gratter les orteils de Qin Shi Huang ? Son nom est désormais entré dans l’histoire : son armée l’a rendu immortel, n’est-ce pas ce qu’il souhaitait ?

N.B.
Infos en plus

• Porter la coiffe :

Notre empereur aurait créé la coiffe "mianlu" qui comporte deux rideaux de franges, à l’avant et à l’arrière de la tête. Pas très sexy, plutôt décoratif et protégeant du soleil !

• Qin Shi Huang au centre d’une administration centralisatrice

Il était favorable à la philosophie légiste où « la force procède toute forme de pouvoir ». En conséquence, le fonctionnement de l’État ne dépend pas des qualités du souverain, mais de l’efficacité des lois promulguées ainsi que des institutions chargées de les faire respecter. Logiquement, le système est neutre puisqu’il est censé organiser la société dont il constitue les repères. Toutefois, les hommes savent adapter un ordre établi à leur propre avantage.
Qin Shi Huang, qui régna en véritable despote, n’avait rien à craindre de cette administration centralisatrice qui, finalement, lui laissait une marge de manœuvre appréciable. L’humanisme et la tolérance étaient exclus dans cette organisation basée sur l’obéissance des peuples conquis qui n’avaient guère droit à la parole. Cette attitude, liée au maintien et à la conservation du pouvoir, n’a rien d’exceptionnel. Longtemps, les gouvernants se prirent pour des "fils du ciel", investis de pouvoirs que seul l’au-delà avait pu leur offrir. À eux, êtres d’exception choisis sur le volet. En Europe, pareillement, les rois possédaient leur titre « de droit divin ». Quand on y regarde de plus près, considérer qu’il puisse exister une égalité entre les hommes ne semble pas être le propre de l’homme !
Pour la petite histoire, Qin Shi Huang pourchassa violemment les adeptes de Confucius dont la doctrine contredisait celle des Légistes. On dit qu’il les fit arrêter et enterrer vivants. Dans la foulée, il brûla leurs livres : une méthode radicale qui consiste à détruire une forme de pensée pour en imposer une autre. Dans l’histoire, les exemples de destruction d’ouvrages et de bibliothèques sont nombreux.
Bref, quelles que soient les époques, les dictateurs se ressemblent et leur façon d’agir n’est qu’un éternel recommencement...

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