dimanche 15 mars 2009

Rochefort
Musée Pierre Loti :
L'affaire est dans le sac...
de Pékin


Il y a quelques années, des artistes chinoises, de passage à Rochefort, ont découvert avec stupeur le trône de l’ancienne impératrice Cixi, exposé dans la Maison Pierre Loti…


À Rochefort, cette demeure est un haut lieu de pèlerinage intellectuel. La maison Pierre Loti, en effet, reflète la personnalité de cet écrivain renommé dont la particularité était de rapporter moult témoignages de ses lointains voyages. Les salles du vaste musée se succèdent à un rythme dépaysant, loin de l’ennui qui serait source d’uniformité. Cet endroit original est une porte ouverte sur l’évasion. Ainsi, le visiteur passe allègrement de la partie chinoise au salon turc, découvrant ambiances feutrées et objets authentiques. Une mise en scène minutieusement élaborée par l'ancien propriétaire...

Au temps de sa splendeur, Pierre Loti - qui sauva le château de la Roche Courbon en lançant un vibrant appel dans la presse - y organisait de somptueuses fêtes sur des thèmes variés. Il n’avait que l’embarras du choix et ses amis prisaient fort ses soirées costumées. A l’époque, les civilisations orientales et asiatiques suscitaient la curiosité...
Etait-ce pour renouer avec cette charmante tradition que l’association Pierre Loti proposa une manifestation où chaque invité était libre de se déguiser ? C'était en 2004.
Ce soir-là était particulier. En effet, deux artistes chinoises étaient accueillies en grandes pompes. Didier Catineau, membre du comité, se souvient fort bien du moment où les charmantes ambassadrices de l’Empire du Milieu blêmirent en découvrant le trône de l’impératrice Cixi que les organisateurs avaient cru bon, voire judicieux, de leur “dévoiler“.
« Nous pensions leur faire plaisir en leur montrant que les Français avaient su préserver ces trésors. Or, elles prirent fort mal la chose et ne cachèrent pas leur émotion, pour ne pas dire leur stupeur » se souvient t-il.
Imaginez la Joconde de Vinci ornant la cité interdite de Pékin. Les Français feraient une sacrée tête !

En réalité, Loti avait tout simplement ramené ce butin à Rochefort (800 kg d’objets pillés à Pékin dans les années 1900) sans se soucier des conséquences. La pratique était courante. Dans des courriers, il raconte l’aventure à sa femme.
De retour en Charente-Maritime, il avait aménagé dans son jardin d’hiver une salle où l’on pouvait voir le trône de la fameuse impératrice (aïeule du dernier empereur, Puyi, elle fit restaurer le merveilleux bateau de marbre du Palais d’Été) et ses petits souliers... Par la suite, son fils Samuel vendit à l’hôtel Drouot≈ une partie de cette collection, y ajoutant la fameuse pagode japonaise.
La Maison Pierre Loti abrite encore de nombreux éléments : vêtements en soie d’apparat, mobilier, statuettes de Confucius. Ils figurent dans l’exposition sur l’Asie du Sud Est qui est ouverte au public lors des visites passions. Elles coïncident généralement avec l’organisation de conférences.


La Chine, mais aussi l’Egypte et la Grèce

Aujourd’hui, les objets restants de la salle chinoise de Loti peuvent attirer l’attention des autorités de Pékin. Après la vente aux enchères du rat et du lapin ayant orné l’ancien Palais d’été, évènement qui a provoqué un incident diplomatique entre la Chine et la France puisque Pierre Bergé est resté sur ses positions, on ignore comment évoluera la situation.

M. Ma Chaoxu, porte-parole du ministère chinois des affaires étrangères, a récemment déclaré que « la protection du patrimoine culturel et la restitution des biens culturels volés au pays d’origine constituent un consensus de la communauté internationale, qu’il s’agit là d’un droit culturel fondamental et inaliénable du peuple du pays propriétaire, et que le gouvernement chinois est hautement attaché à la récupération des biens culturels illicitement sortis du territoire ».
Il a rappelé que les puissances occidentales « ont pillé d’innombrables biens culturels de la Chine durant les guerres d’agression dans l’histoire, que ces biens culturels doivent être restitués à la Chine qui a adhéré à la Convention concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l’importation, l’exportation et le transfert de propriété illicite des biens culturels de l’UNESCO de 1970 et à la Convention d’Unidroit sur les biens culturels volés ou illicitement exportés de 1995 ». Voilà qui a le mérite d’être clair.

Il faut savoir que l’Egypte et la Grèce ont saisi le Conseil de l’Europe afin que les biens ayant été “captés“ leur soient également rendus. Ainsi la Pierre de Rosette qui se trouve au British Museum de Londres ou le livre des morts. En ce qui concerne la Grèce, on se souvient que Mélina Mercouri avait demandé aux Anglais de rendre tout ce qu’ils avaient acheté à vil prix...

La question de savoir qui garde quoi est difficile à trancher. A l’intérieur des musées, les objets sont protégés. Certains, plus symboliques, porteurs d’une valeur affective ou religieuse incontestable, pourraient sans doute rentrer dans leur patrie d’origine. De toutes les façons, nous ne sommes que des gardiens...

Photos 1, 2 : les vestiges chinois ramenés par Pierre Loti à Rochefort (photos Nicole Bertin)

Didier Catineau :

« Une expression très forte, mélange de dégoût et de colère »...


« L’association des amis de la maison Pierre Loti de Rochefort m’avait demandé d’être l’organisateur d’une fête chinoise dans la maison musée du célèbre écrivain charentais. La première avait eu lieu 101 ans auparavant, dans une débauche de costumes et de décors afin de fêter dignement l’inauguration d’une nouvelle salle décorée avec les nombreux objets ramenés par Loti de son passage à Pékin, dans la Cité interdite.

En novembre 2004, une soixantaine de participants seulement étaient présents à une soirée mêlant musiques et danses chinoises, dégustation de mets spécifiques, lectures d’extraits des "derniers jours de Pékin" et surtout visite de la célèbre salle chinoise, reconstituée pour l’occasion avec quelques meubles, des costumes et le célèbre trône de conversation de l’impératrice Tseu-Hi (Cixi) elle-même. J’allais donc chercher à La Rochelle les deux artistes venant de Paris par le train et une fois leurs bagages déposés dans un hôtel de Rochefort, je les amenais à la maison. Tout fier de notre travail - celui des membres de l’association et du personnel du musée - je les fais pénétrer dans la salle chinoise dont les murs, tendus de tissu rouge et l’éclairage tamisé, faisaient ressortir les trésors à contempler. La jeune danseuse regarda avec beaucoup d’attention et je vis très clairement s’installer sur son visage une expression forte, mélange de dégoût et de colère.

Elle me demande des comptes de manière très directe, s’étonnant que ces objets soient visiblement authentiques. Elle s’inquiète de leur provenance et de leurs conditions d’acquisition. Visiblement troublée, elle arpente la toute petite pièce et j’ai beaucoup de peine à lui expliquer, ainsi qu’à son amie, que Loti avait ramené ce trésor, ce patrimoine qu’elles estiment le leur. Ayant visité la Cité interdite plus de cent ans avant, il avait rapporté dix caisses pleines à ras bord de ces objets uniques.

Les deux jeunes femmes chinoises pensaient très certainement qu’elles venaient effectuer une prestation artistique dans un endroit de reconstitution folklorique ou de pacotille évoquant leur patrimoine national. Apparemment, le fait de se retrouver avec leur passé les troubla toutes les deux et elles me le firent savoir sans ambages. Le barrage de la langue n’est pas venu à mon secours car elles parlaient et comprenaient toutes deux très bien le français. Je me suis donc efforcé, avec une grande diplomatie, d’expliquer le contexte historique de l’époque, les recherches esthétiques de Loti, son goût du décor et je me suis senti véritablement bien seul en ces circonstances.

Pour dissiper ce malaise, je les ai conduites dans le reste de la maison avec sa mosquée, la salle Renaissance, la salle médiévale pour montrer, preuves à l’appui, que ces objets rapportés de fort loin et de pays si différents, avaient tous un rôle à jouer dans l’ambiance des lieux et qu’ils étaient entretenus et préservés au mieux.


Les participants de la fête chinoise, ignorant tout de cet épisode, n’eurent rien à redire concernant la prestation artistique des deux jeunes femmes mais cela me laissa, quelque temps, un petit goût d’inachevé jusqu’à ce que les années se chargent de me le faire oublier ».

Photo 1 : Didier Catineau, organisateur quelque peu embarrassé par la tournure des événements

Photo 2 : Des artistes chinoises de talent

Photo 3 : En avant les déguisements !!!

• Le point de vue de Bernard Grasset, maire de Rochefort

A la question : « si les Chinois vous demandent de restituer le trône de Cixi, quelle sera votre réaction ? », Bernard Grasset répond qu’il comprend qu’un pays veuille récupérer les biens appartenant à son histoire. Il privilégierait la voie de la diplomatie : « A Rochefort, ces objets sont en dépôt. Nous les protégeons et les mettons en valeur. Ils contribuent aussi à la connaissance. Je suis favorable à la concertation. Par le dialogue, des échanges culturels avec les Chinois pourraient être établis ».

Ce n’est pas la première fois que des antiquités retiennent son attention : « quand j’étais député, un marchand parisien avait mis en vente des crânes maoris qui ont une signification religieuse. L’Etat a décidé de les acheter et de les rendre à leurs propriétaires ». Par contre, en Nouvelle-Calédonie, par exemple, les Canaques admettent fort bien que certains objets aillent orner des collections européennes : à l’air libre, ils se dégradent. Et puis, il est toujours bon qu’une civilisation parte à la rencontre d’une autre...

Un des éléments de la salle chinoise (photo Nicole Bertin)

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