vendredi 12 mars 2010

Tremblement de terre au Chili :
James Poirier témoigne


« A Santiago du Chili, samedi vers quatre heures du matin, tout s’est mis à danser »
O beurloque, o branjhole, o quante, mais o s'agale pas



Dans la région de Jonzac, nombreux se souviennent de James Poirier qui occupa, durant de nombreuses années, les fonctions d’inspecteur de l’Education Nationale. Esprit éclairé, il s’intéressait à la culture et le patois ne lui était pas indifférent (il est originaire du Nord Gironde).Chaque semaine, dans le journal la Haute-Saintonge, il publiait une rubrique savoureuse, baptisée "des mots pour zou dire", que les lecteurs appréciaient particulièrement. Il animait également des conférences, à l’Université d’été entre autres, et a écrit moult articles.
Retraité, il vit sur la Côte d’Azur, ce qui ne l’empêche pas d’aller de temps en temps au Chili, pays où il a longtemps travaillé. Lors du tremblement de terre qui a frappé durement la région de Concepcion, il se trouvait justement à Santiago avec son épouse Sarah.
Son témoignage sur cette nuit agitée fait apparaître une loi des séries. Tandis que les plaques tectoniques dansaient sous les pieds de ce pays d‘Amérique du Sud, la Charente-Maritime et la Vendée étaient touchées de plein fouet par la colère de Xynthia…


James Poirier raconte : « Après le "twist in the night" du samedi 28 février au Chili, mon épouse Sarah et moi n'avons pas interrompu notre séjour à Santiago, car nous sommes loin de la vraie catastrophe de Concepción, mais près de l'émotion ressentie dans le pays tout comme de celle ressentie en Charente-Maritime.
Donc, à Santiago du Chili, samedi dernier, un peu avant 4 heures du matin, tout s'est mis à danser : le lit, les dormeurs et, avec eux, toute la maison. Outre la perception immédiate d'un mouvement oscillant et désordonné, c'est la somme des bruits inhabituels qui a donné l'alerte. Le séisme c'est d'abord une étrangeté sonore. O beurloque de peurtout. Chaque meuble se met à geindre, les portes craquent, les serrures couinent. Tout vibre et s'entrechoque, l'immeuble bourdonne, la cuisine s'exaspère et tinte de toutes parts. Tout ce qui est habituellement immobile et silencieux émet à domicile une cacophonie incroyable. La ville bruisse aussi confusément, les tuiles s'entrechoquent. Les chiens se taisent.

Dès le début de la secousse, une coupure générale d'électricité laisse sur la ville la seule lumière de la pleine lune et des feux rouges aux carrefours. Puis, les tremblements s'amplifiant de manière inquiétante, le tintamarre domestique redouble d'intensité, ponctué par les chutes d'objets en cascade. Impossible alors de tenir debout sans appui, les portes des placards s'ouvrent à deux battants, vomissant les contenus les plus divers, les portes-fenêtres coulissantes vont et viennent toutes seules… Il y a tant de bruit qu'on n'entend plus rien de distinct. O branjhole, o quante d'un bord et de l'aut'… Va-t-o s'agaler asteure ? Chacun s'agrippe comme il peut, veillant surtout à ne pas se blesser et cherchant déjà mentalement où vont se trouver les fameux « triangles de survie »(1)…



Ce bal intense a duré au moins trois minutes, avec augmentation progressive puis ralentissement également progressif. Pendant la phase croissante, on se dit que si l'intensité augmente encore, plus rien ne pourra résister. Détail important, nous étions au 21ème étage… d'un immeuble neuf, certes, dont on aime alors à se rappeler qu'il doit avoir été construit selon les fameuses « normes antisismiques » !

L'amplitude des mouvements est impressionnante, comme sur un bateau en tempête. On se surprend à se demander où le béton va chercher une telle souplesse… La faible luminosité nous montre des rideaux dangereusement inclinés, des portes qui battent, des tableaux qui se décrochent. Il faut se tenir et il faut tenir.

• « Nous sommes sortis dans le jardin à chaque réplique, c'est-à-dire tous les quarts d'heure »

Puis la secousse s'apaise lentement en une vibration décroissante, entrecoupée de soubresauts. Le bruit cesse et le chaos s'aperçoit. Première idée : sortir.
Nous découvrons alors que la porte d'entrée de l'appartement ne s'ouvre plus ! Ambiance.... (On apprendra plus tard que c'est classique : il ne faut pas s'enfermer à clé en zone d'activité sismique). A ce moment-là, envoyé par la Providence, un voisin du 21ème nous interpelle à travers la porte, offrant de l'enfoncer de l'extérieur. Offre acceptée. Il s'exécute façon karatéka. Très efficace. En trois coups. Et nous descendons à pied, par un escalier heureusement éclairé - car l'immeuble dispose d'un groupe électrogène - emportant avec nous un minimum : papiers, argent, ordinateur, bouteilles d'eau.

Arrivés au rez-de-chaussée, il fallut vaincre une appréhension pour descendre à pied au troisième sous-sol afin de récupérer la voiture, mais nous l'avons fait. A toute allure. Les concierges avaient ouvert à la main les grilles ordinairement télécommandées, nous nous sommes donc retrouvés en ville, roulant à la recherche d'un quartier sans immeuble. En un instant, Santiago s'est remplie de véhicules comme en pleine journée. Les gens stationnaient dans les endroits jugés appropriés pour passer le reste de la nuit dans leur voiture. Après quelques minutes de trajet nocturne, nous étions chez des amis qui habitent une villa. Là, nous avons bu le café en sortant dans le jardin à chaque réplique, c'est à dire tous les quarts d'heure. Il était à peu près 4h30 du matin, par une belle nuit d'été. L'électricité étant coupée, nous captions les première nouvelles locales avec la radio de la voiture laissée portes ouvertes. Le jour est venu et, avec lui, un début de sérénité.

Curieux de ce que nous allions découvrir, nous sommes revenus à notre immeuble vers 8 heures du matin, constatant extérieurement et intérieurement des dégâts insignifiants : quelques menus gravats de plâtre ici ou là, aucune fissure dans le béton, ni même dans les cloisons. Incroyable. Dans notre quartier de las Condes, près de l'Apumanque, aucun dégât visible, ce qui sera confirmé. Finalement, les « normes antisismiques » chiliennes c'est du sérieux ! A 8 h 30, une réplique un peu plus forte nous a retenus dans la rue avec des voisins également peu pressés de remonter dans les étages. Il y avait peu de conversations.

A 11 heures, l'ambiance s'était un peu détendue. Nous sommes alors remontés à pied au 21ème étage. Dans l'appartement apparemment saccagé, nous avons patiemment tout remis en place, constatant qu'il y avait finalement très peu de casse - à part la porte !
L'électricité est revenue dans notre immeuble le même jour à midi, et avec elle Internet, ce qui nous a permis de rassurer aussitôt tous nos proches. Tout le monde n'a pas eu cette chance. Nous avons découvert par la télévision l'ampleur du sinistre dans la région de Concepcion, constatant ensuite que les victimes étaient surtout dues au raz-de-marée qui a suivi, comme en Charente-Maritime et en Vendée.

En effet, les Chiliens ont l'expérience des tremblements de terre, ils savent ce qu'il faut faire et ne pas faire1. De surcroît, les normes architecturales sont très strictes au Chili, ce qui explique que si peu d'immeubles aient souffert. En revanche, dans les quartiers les plus pauvres, les maisonnettes construites sans normes, ni permis n'ont guère résisté.
A peine remis de nos émotions, nous étions informés de l'alerte de tempête sur le littoral atlantique français, dont nous avons suivi les effets désastreux sur TF1 (capté par Internet) et par les messages électroniques de la famille restée en Saintonge.
L'idée de « rentrer » n'a donc guère de sens sur une planète qui s'agite. Il faut plutôt rentrer en soi-même et se préparer calmement à toute éventualité. Telle est, provisoire, la leçon que je tire de la "secousse" ». 


Merci, James, pour ce témoignage intéressant qui fait apparaître une évidence : la Terre est vivante et se préoccupe peu des gens qui l’habitent. A nous d'être prudents !

• (1) Les précautions en cas de séisme : dans un immeuble à étages, il ne faut pas se mettre sous un lit, ni sous aucun meuble, ni dans l'encadrement des portes (comme on l'a longtemps cru), ni dans une voiture, ni sous une voiture. Il faut se mettre juste à côté d'un lit, d'un canapé, d'un évier, d'un plan de travail, d'une voiture, ou de tout objet susceptible de ne pas s'écraser complètement. Même un canapé laissera toujours 30 ou 40 cm d'espace tout contre lui. En cas d'effondrement, on retrouve toujours des « triangles de survie » juste à côté de ces objets. Les personnes que l'on retrouve en vie sont là et nulle part ailleurs. Autre conseil : ne pas se déplacer et, surtout ne pas emprunter d'escalier, pendant la secousse. Encore moins d'ascenseur, évidemment ! Dans les maisons au rez-de-chaussée, on peut sortir, mais attention : il faut avoir déjà prévu la zone de repli pour éviter de s'exposer aux chutes d'arbres, de lignes électriques, de murs, d'échelles, de grues, d'échafaudages, etc..


• Santiago du Chili (photo 1) : Les immeubles y ont encaissé un séisme de degré 8 (ce qui correspond à une énergie 500 fois supérieure aux séismes de Haïti et de Turquie, pour ne parler que des plus récents). En effet, la progression d'un degré à l'autre sur l'échelle de Richter n'est pas arithmétique, mais logarithmique, ce qui signifie que, par exemple de 7 à 8, l'amplitude est multipliée par 10 et l'énergie libérée par 30. Les normes antisismiques coûtent cher à la construction, d'où leur inégale application...

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