dimanche 12 septembre 2010

Balade en Corse
Les Agriates :
Un désert en Europe !


Cette étonnante région du Nord de la Corse pourrait faire sienne le slogan de la Charente-Maritime « entre terre et mer », à cette nuance près que les conditions climatiques (comme son nom l’indique), et surtout le relief, n’ont rien à voir avec le département des mouettes !


La mer est calme, lisse comme un miroir. Gommant les époques, le regard cherche les voiles blanches de bateaux imaginaires qui mouillaient autrefois dans la baie de Saint-Florent. Alertes, les voiliers des touristes ont remplacé les "destriers" des Barbaresques qui sillonnaient la Méditerranée.

Les rides de cette mer intérieure, qui vit sur son échine passer tant d’esquifs, sont provoquées par la houle, compagne habituelle des navigateurs qui l’invoquent pour mieux échapper à ses creux. La "peau du diable", comme l‘appellent les marins, se contracte quand des vents contraires assombrissent son humeur. Ils chassent alors le mistral qui pousse les équipages hors des bords mystérieux du monde occidental...


Prolongeant la dépression du Nebbio, le golfe de Saint Florent, situé au Nord de la Corse, est un havre. La vieille ville, que garde une citadelle ornée de graffiti, s’étire le long du port. Dès que le soleil brille, elle grouille d’estivants qui arpentent les ruelles. Les uns s’attardent autour de la fontaine centrale, les autres entrent dans les échoppes pleines de souvenirs, à la recherche de l’âme corse. L’entrée de certaines boutiques se dissimule derrière un rideau en lanières multicolores qu’il faut écarter pour se frayer un passage. D’anciens édifices du XVIIIe, aux frontons érodés, évoquent le temps de Pasquale Paoli. Pour trouver son buste, il faut aller à l’Ile Rousse où l’ardent défenseur de l’indépendance trône en bonne place sur l’esplanade, non loin du marché aux allures de temple.

Le désert des Agriates



« Un endroit à ne pas manquer » disent les guides, d’autant que le mot désert éveille la curiosité. De Saint-Florent, on aperçoit les monts immobiles. Leurs flancs s’écoulent doucement vers la mer, avant de se perdre à l’horizon.

Retombée septentrionale de la chaîne du Tenda, cette région n’est pas faite de dunes, comme au Sahara. Le sable, le baigneur le trouve sur les plages - où il est plus agréable que les galets - et le randonneur le rencontre au détour du chemin. Les gerbes de poussière, que soulèvent les 4 X 4 allant à la plage de Saleccio, font penser au Paris-Dakar. Tout enfarinée, la végétation elle-même en porte les traces !

Sur cette piste, le trafic est important...



Partant de Casta, village de la commune de Santo Pietro di Tenda, la piste, devenue quasiment une "autoroute" par la densité du trafic, permet de rejoindre la conche sans prendre la navette maritime. Les malheureux qui s’y hasardent à pied subissent cette circulation et doivent se « garer » sous peine de provoquer l’ire des automobilistes.

Les arrêts fréquents ont un avantage : ils permettent de découvrir un paysage remarquable où culmine une pyramide fière et insoumise, le mont Genova haut de 418 mètres. Pour un meilleur point de vue, l’ascension de sentiers, à travers maquis aride et rochers volcaniques, provoque une émotion particulière.

De vieux clichés reviennent en mémoire. Un homme, le visage buriné, apparaît avec sa musette en bandoulière. Escaladant le "routin", il s’appuie sur un bâton, cette troisième jambe sculptée dans le bois qui l’empêche de trébucher. La pointe s’accroche à la terre, s’y enfonce parfois, écarte les pierres. Au loin, les clochettes d’un troupeau retentissent. Cet environnement rustique a un mot de passe : simplicité…


Désert des Agriates : les monts s'étirent jusqu'à la Méditerranée...


Arbousiers, myrtes, lentisques, chênes verts et oliviers offrent un peu de verdure à cette étendue accablée par la fournaise. Etonnante est la bande azur qui se détache à l’horizon. Le ruban turquoise, couleur Caraïbes, n’est autre que la Méditerranée. Ce n’est pas un mirage ! Cette apparition donne de l’optimiste aux maigres troupeaux qui paissent dans les enclos. L’herbe se fait rare. Face à sa majesté l’inselberg, la vie est âpre et dure. Il ne pleut guère et chaque goutte d’eau est un trésor.

Et pourtant, les Agriates, qui s’étendent sur presque 20.000 hectares, n’ont pas toujours été prisonnières de leur torride réclusion. « Pendant des lustres, elles ont été le grenier à blé de la Corse. L’étymologie d’Agriates signifie terrains labourés » écrivent les historiens.
Il y en avait de l’activité autour des céréales et des oliviers : labours, semailles, récoltes. Le rythme de la vie rurale s’écoulait selon un calendrier établi en fonction des saisons. S’y ajoutaient l’élevage - troupeaux de chèvres et brebis contribuaient à la fabrication des fromages - et la culture d’agrumes.



L’abus du pâturage et surtout les nombreux incendies, enflés par des vents secs, ont mis un terme à cette belle aventure. Les violents sinistres de 1971 (qui détruisit les oliveraies de la Balagne et l'Ostriconi) et 1992 ont porté l’estocade. Le grenier s’est vidé peu à peu pour laisser place à des buissons qui s’incrustent entre les ravins et cavités naturelles, appelées « taffoni ».
De l’autre côté, vers le Cap Corse, les terrains, plus riches, accueillent des vignobles renommés, dont l’appellation Patrimonio. Tous les ans, le jour du 11 novembre, les vignerons font bénir à l’église leurs cuvées respectives avant d’offrir une dégustation aux paroissiens.

• U Salone

La terrasse d'U Salone : vue magnifique sur le désert !


Après avoir randonné dans les Agriates sous un soleil de plomb, rien ne vaut une petite auberge au bord de la route pour se désaltérer. Aubaine, il en existe une à Casta ! Baptisée U Salone, elle est tenue par Dominique Cristofari qui propose des boissons ainsi que des produits du terroir, dont la fameuse charcuterie corse qu’accompagne un "Patrimonio".

Dominique Cristofari vous accueille au "Salone" qui est situé au bord de la route.
Une halte rafraîchissante pour les touristes.


Le regard franc, ne rechignant pas à la tâche, il porte l’empreinte des Agriates : ne jamais courber l’échine, même quand il fait quarante degrés !
Sa famille est originaire du secteur, c’est pourquoi il connaît le coin comme sa poche. Le maquis, les routes, les cols, la faune, la flore. Cette approche particulière des gens du pays avec la nature est belle en authenticité.

Voici trois ans, il a décidé de transformer un ancien pailler hérité de sa femme (pagliaghju) en étape rafraîchissante. Au fil des mois, l’ancienne cabane en pierres sèches a trouvé une seconde jeunesse. Sur le sol, les grandes dalles en pierre ont été conservées et à l’arrière, la vue sur le désert des Agriates est imprenable. « A l’ouverture, un figuier poussait entre les murs et je demandais aux clients d’aller cueillir les fruits directement sur l’arbre » déclare le propriétaire. Les intéressés étaient un peu surpris, mais la formule avait le mérite de l’originalité. Quand des travaux plus importants ont été réalisés, l’arbre a été abattu. Qu’on se rassure, il reste encore de nombreux figuiers dans les environs !

Avec sa femme Danièle et leur fille Claudia, il veille aux destinées de cet établissement qu’il a failli appeler Fort Alamo. U Salone, le salon ou le saloon, c’est mieux !


En contrebas, une ancienne maison en ruine et un autre pailler attestent du temps où la région était un secteur agricole prospère. « Ici, nous vivions des oliviers, des céréales et dans les fermes, on faisait des saucissons, des fromages qui étaient vendus sur les marchés. Il y avait beaucoup de monde » souligne son frère Toussaint. Nostalgique, il évoque sa jeunesse quand les champs étaient exploités et que l’économie ne reposait pas encore sur le tourisme. « Après la Seconde Guerre Mondiale, la situation a changé. Les incendies ont tout ravagé, celui de 1992 a été terrible. A cette époque, pour les combattre, nous n’avions pas les moyens dont nous disposons aujourd’hui. D’énormes superficies ont été rayées de la carte. Ces dernières années, quelques propriétaires ont replanté des oliviers pour produire de l’huile ».

Des produits du terroir corse

Comme les siens, Dominique Cristofari est attaché à cette terre qui l’a vu naître. Il est intarissable sur les Agriates et raconte volontiers ses premières expériences de chasseur, quand il avait une fronde. Il est incollable sur le sanglier, une bête un peu mythique qui suscite le respect. Dans les épiceries et restaurants, le pâté de sanglier figure d’ailleurs en bonne place.



Il fait bon s’arrêter au "Salon". On n’y fait pas tapisserie et surtout, grâce à la gentillesse de ses hôtes, on découvre les petits secrets du pays Agriates situé entre terre et mer, droit comme le Geneva, énigmatique comme l’étrange cavité qu’il possède en son sommet. Le seul désert situé en Europe…



• Sous le signe du Taureau


N’aimant pas la solitude, le taureau du cousin des Cristofari, remontant de son pré, fait une petite halte sur la terrasse. Aurait-il soif ? Il fait une chaleur de bête après tout.

Il a l’air plutôt pacifique et semblerait tout prêt à communiquer. Sauf que la présence d’un taureau peut perturber les touristes venus prendre en verre. En conséquence, il ne reste plus qu’à l’éloigner avec le tuyau d’arrosage. Une douche "pure Agriates" qui a le mérite de le pousser hors du périmètre protégé…



Ce genre de rencontre n’a rien surprenant. Un peu plus loin, des appels de phare préviennent l’automobiliste d’une présence insolite sur la route. En effet, une vache échappée se trouve sur l’axe de circulation. Et dans les cols, mieux vaut faire attention !

Reportage/photos Nicole Bertin


• Le désert des Agriates est dominé par trois sommets principaux, la Cima d'Ifana, la Cima d'Ortella et le Monte Genova. Ce dernier est visible de toutes parts.
• Autrefois, agriculteurs et éleveurs avaient construit des pagliaghji (paillers). Le pagliaghju est une cabane en pierres sèches qui servait d'habitation, de bergerie ou de grange pour le blé et le foin.



• Dans les années 1980, le Conservatoire du Littoral a acquis dans les Agriates 5 514 ha représentant 35 kilomètres de côtes. Sa priorité est la préservation des paysages et l'évolution naturelle des sites. Depuis 2008, huit gardes départementaux du littoral assurent la gestion des terrains. Leurs missions sont nombreuses dont l'entretien et le nettoyage des plages et des sentiers. En été, ils sont intégrés au dispositif de prévention des incendies. Une maison des gardes existe à Saleccia.



• Casta, village de la commune de Santo Pietro di Tenda, est la seule localité du désert des Agriates. Plusieurs entrées et pistes permettent l'accès aux sites des Agriates : Ostriconi, piste menant aux bergeries de Terriccie ; Bocca di Vezzu d'où part la piste menant à Malfalcu et Alga Putrica ; Casta (piste de plage de Saleccia) et Fornali à Saint-Florent.

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