dimanche 28 novembre 2010

Association des Journalistes
du Patrimoine :
Du phare d’Alexandrie
aux monnaies du trésor de Lava…


L’archéologie sous-marine et subaquatique était le thème de la conférence organisée par l’Association des Journalistes du Patrimoine (AJP) que préside Michel Schulman, au Studio-Théâtre à Paris.
Les spécialistes sont inquiets : le pillage des sites, le tourisme et l’exploitation des ressources maritimes représentent une menace. Comment mieux protéger ce patrimoine fragile ?



Réunir Michel L’Hour, directeur du Département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines (DRASSM), Ulrike Guérin, spécialiste du programme pour la protection du patrimoine culturel subaquatique à l’Unesco et Patrice Pomey, directeur de recherches au CRNS, était une initiative intéressante.

En effet, qu’ils aient sombré dans une tempête, sous le feu des canons ou d’une erreur de pilotage, les bateaux qui livrent leurs secrets permettent de mieux comprendre l’histoire des civilisations. Témoins des sociétés qui les ont bâtis, ils apportent un éclairage sur le transport des marchandises et les structures portuaires.
Sophie Laurant, rédacteur en chef adjointe au Pèlerin, chargée d’animer les débats, rappelle combien la Méditerranée a facilité les échanges commerciaux et culturels. Chaque épave retrouvée avec sa cargaison apporte une pierre à l’édifice. De Tyr à Carthage, ville d’Afrique du Nord, chemina la pensée grecque, puis romaine, avant que le christianisme ne se répande en Europe.

Faire parler les épaves

Spécialiste de la navigation antique, Patrice Pomey commence sa présentation par un phare mythique, Alexandrie.

Le phare d'Alexandrie, l'une de sept merveilles du monde antique

Depuis plusieurs siècles, des sites millénaires égyptiens dormaient dans les fonds marins à proximité des rivages d’Alexandrie et de la baie d’Aboukir. Engagées dès 1992 par l’Institut européen d’archéologie sous-marine, en coopération avec les autorités égyptiennes, les fouilles ont été fructueuses. Elles ont mis en lumière des endroits oubliés, Alexandrie, Héracléion et Canope, submergés par la combinaison de phénomènes naturels (changement de configuration du delta du Nil, affaissement de la partie orientale de la Méditerranée qui pourrait résulter de l’éruption du volcan Santorin, montée du niveau de la mer, glissement de terrains, liquéfaction des argiles supportant de lourdes structures).


Ces cités perdues, dont la tradition avait gardé le souvenir, ont été miraculeusement protégées par les alluvions. En 2007, au Grand Palais à Paris, le public a découvert les sculptures de Serapis et Hâpy, divinités vieilles de plus de 2000 ans. Émouvantes, ces merveilles sont sorties de leur long sommeil par la volonté de scientifiques, alliant méthodologie et moyens spécifiques de prospection et de protection du “mobilier“ découvert.

Situé sur l’île de Pharos, « le phare d’Alexandrie date du IVe siècle avant JC. Des milliers de blocs ont été localisés » souligne Patrice Pomey. Des images de synthèse permettent d’imaginer ce lieu grandiose, qu’on aurait plaisir à admirer. Considéré comme l’une des sept merveilles du monde antique, il frappait l’imagination des voyageurs. La porte en était gardée par la statue de Ptolémée II, à l’origine de sa construction avec son père. Sauvé des eaux, le pharaon veille désormais sur la Bibliotheca Alexandrina.

Gravure de Martin Heemskerck représentant le phare d'Alexandrie

Sur la carte, le chercheur se déplace et fait escale à la Madrague de Giens, dans le midi de la France. Une épave riche en enseignement y a été trouvée. À partir du IIe siècle avant J.-C., de nombreux navires partaient de l’Italie pour la Gaule et l’Ibérie, l’Espagne actuelle. Le bateau, d’une longueur de quarante mètres, a fait naufrage dans les années 75-60 avant J.-C. Il avait à son bord des milliers d’amphores emplies de vin et des vases à vernis noir. D’autres épaves, plus récentes dont celle, byzantine, de Yassi Ada, ont été repérées en Turquie.

À Marseille, les fouilles préventives de la place Jules Verne ont “ressuscité“ plusieurs épaves grecques et romaines. Venant de Phocée, port d’Asie Mineure, l’un des bateaux, dont les éléments étaient “cousus“ avec des cordes, faisait le commerce du corail. Cette matière servait en orfèvrerie et dans la préparation de médicaments.

Épave trouvée lors de fouilles préventives à Marseille

Dans la perspective de la manifestation “Marseille, capitale européenne de la culture en 2013“, deux navires seront reconstruits à l’identique. « Réalisées à la fin du VIe s. av. J.-C. par les descendants des premiers colons phocéens, ces embarcations témoignent des techniques de construction navale alors en usage en mer Égée. Jules-Verne 9, grande barque de pêche côtière, est entièrement assemblée par ligatures tandis que Jules-Verne 7, navire de commerce, est principalement assemblé par tenons, mortaises et clous. Seules les extrémités restent cousues » explique Patrice Pomey.

Ce type de démarche n’est pas sans rappeler le chantier de l’Hermione, la frégate de La Fayette, en cours de réalisation à Rochefort. Elle devrait rallier Boston vers 2014.

Objectif Lune ?

En France, c’est le DRASSM qui veille aux destinées des patrimoines immergés en eaux douces et salées. Rappelez-vous le magnifique buste de César extrait des eaux du Rhône : le département est à l’origine de cette découverte !

Créée par Malraux en 1966, cette structure, dont le siège est à Marseille, a une lourde charge. En effet, son champ d’intervention est vaste et « nous ne disposons que d’une quarantaine de personnes, dont une vingtaine d’archéologues et plongeurs techniciens sous-marins » souligne Michel L’Hour. Une goutte d’eau dans la mer, d’autant que la France, riche de ses îles, est le second propriétaire “mérien“ au monde, après les États-Unis et avant l’Australie. Soit 11 millions de km2, de l’Atlantique au Pacifique et de l’Océan Indien à la Méditerranée.
À elle seule, la métropole compterait 20.000 sites. Dans les eaux tricolores, le nombre de biens culturels maritimes se situerait “au doigt mouillé“ entre 150.000 et 200.000. Les équipes font ce qu’elles peuvent avec les moyens dont elle dispose. Michel L’Hour est pessimiste quant à la protection de certains sites : « le chalutage et l’industrialisation de la chasse aux trésors sous-marins constituent des menaces ».

Les vaisseaux qui ont sombré sont nombreux...

L’un des projets du DRASSM serait de fouiller l’épave d’un vaisseau de Louis XIV, baptisé “La lune“. En 1664, le bateau surchargé disparut corps et biens entre Toulon et Porquerolles, faisant plus de 900 morts du régiment de Picardie. « Il a coulé comme un marbre à 90 mètres de profondeur. Il est très bien conservé. Grâce à notre nouveau navire de recherches archéologiques, le André Malraux, opérationnel début 2012, nous pourrions en faire le chantier d’exploration du XXIe siècle. Le coût de cette opération est estimé à 8 millions d’euros ».
Dans les années à venir, entreprendre des fouilles entre 1500 et 2000 mètres pourrait s’avérer nécessaire. En effet, les bateaux de pêche, dotés des dernières technologies, descendent de plus en plus bas. Cette réalité ne rassure guère Michel L’Hour : « nous devons mettre au point des méthodes d’études, ainsi que des appareils, qui permettront d’expertiser les sites avant que ces épaves, épargnées jusqu’alors, n’aient disparu ».

Le plat du trésor de Lava

Les dossiers de pillages, quant à eux, ne datent pas d’aujourd’hui. Malgré la législation, la tentation est souvent grande, pour les "inventeurs", de cacher leurs trouvailles. Michel L’Hour en sait quelque chose, lui qui suit attentivement le circuit qu’empruntent les pièces d’or du trésor de Lava. Elles ressurgissent tous les deux ans et demi environ.
Il s’agit d‘un ensemble exceptionnel de monnaies romaines, médaillons et objets en or du IIIe siècle que découvrirent des pêcheurs, à quelques kilomètres d’Ajaccio. Ce trésor n’ayant pas été déclaré aux autorités, l’État français n’a récupéré que 78 pièces qui ont été réparties entre le Cabinet des Médailles et le Musée de Sartène.
Un autre lot vient d’être saisi, ainsi qu’un magnifique plat en or qui se trouvait dans les bagages d’un voyageur, dans le train, entre Roissy et la Belgique. « Quand de nouvelles pièces sont apparues, le DRASSM a porté plainte. Le plat se trouve actuellement dans un coffre. Il lui manque cependant un médaillon » remarque Michel L’Hour. La plupart du temps, ces objets anciens, prisés des collectionneurs privés, sont vendus sur les marchés parallèles.
Les responsables admettent que le renforcement des brigades de surveillance offrirait une meilleure réactivité. Et pour cause, l’Office central de lutte contre le trafic des biens culturels (OCBC) regroupe 15 personnes et la douane judiciaire en compte 200.

Les gouvernements successifs ont bien conscience que le patrimoine subaquatique doit être protégé. « Il y a trente ans que je fais ce métier et je dirige actuellement le DRASSM. J’ai connu trois ministres, Renaud Donnedieu de Vabres, Christine Albanel et Frédéric Mitterrand. Leurs trois cabinets ont manifesté de l’intérêt pour l’archéologie sous-marine. Ils l’ont prouvé en nous installant dans de nouveaux locaux et en finançant le navire André Malraux. Nous poursuivons un haut programme de recherches. Ces attentions sont, pour mon équipe et moi-même, un coin de ciel bleu. J’espère qu’il perdurera » conclut Michel L’Hour, breton pur souche qui a la mer pour mémoire !

Nicole Bertin

1 commentaire:

goussu a dit…

Bonjour
Je vous informe qu'un livre sur le Trésor de Lava vient de paraitre, en accord avec l'un des découvreurs Félix Biancamaria :
http://elansud.com/boutique/elan-d-aventure/56-le-tresor-des-biancamaria-9782911137464.html

Cordialement