mardi 3 avril 2012

Réactions
après le drame de Toulouse


Jean-Michel Méchain : 
« La menace terroriste est croissante »

La semaine dernière, la France a vécu en direct la fin de 
Mohamed Merah, retranché dans son appartement de 
Toulouse. Les services de police ont mis peu de temps à localiser celui qui avait tué froidement trois militaires à 
Montauban et Toulouse (un sous-officier du 1er Régiment du train parachutiste et deux membres du Régiment du génie 
parachutiste) ainsi que trois enfants et un enseignant 
à l’entrée d’une l’école confessionnelle juive. Les Français, consternés par le déchaînement d’une violence peu commune sur leur sol, ont découvert l’une des nombreuses facettes 
du terrorisme international. Pourquoi tant de haine ? 
Les réponses sont nombreuses.
Nous avons demandé à Jean-Michel Méchain, ancien colonel de gendarmerie, qui a vécu les conflits balkaniques, 
son point de vue sur cette dramatique et douloureuse affaire.


• A-t-on sous-évalué la menace terroriste en France ou bien le Gouvernement lutte-t-il dans le secret afin de ne pas effrayer la population ?

En Europe, la problématique du terrorisme ne peut pas être dissociée des phénomènes migratoires. On dirait du Le Pen ! Pourtant, c’est absolument basique. Pourquoi ? Les actions terroristes exigent un appui local, direct ou indirect (diaspora) pour des raisons logistiques, de discrétion et d’exfiltration. L’action suppose une “rupture“ affective et sociologique au milieu. Elle peut résulter d’une maladie mentale. Mais, dans le cas du terrorisme, pour le passage à l’acte, il faut que l’altérité de l’auteur soit préservée au plan psychologique et de l’action. Cela peut être le fruit d’un endoctrinement ou d’un déplacement pour le seul “agir“. Dans les deux cas, il faut donc une structure locale qui permette la préservation de cette altérité sans qu’elle se transforme en comportement détectable par les forces de police ou la société.

Je considère que la menace est croissante car l’échec de l’intégration est réel pour une large partie de la population d’origine musulmane. La deuxième génération est frustrée dans une logique consumériste, parfois prédatrice, comme beaucoup de citoyens, mais avec l’altérité ressentie en plus et trop souvent manipulée au plan politique par des acteurs nationaux, mais aussi des pays d’origine ou en crise au Moyen-Orient. Le terrorisme intégré n’est que le fruit de la rencontre entre des combats qui ne sont pas les nôtres, notre propre histoire coloniale, la crise économique et identitaire et la non intégration de fait qui en résulte. Dans ce cadre, la fragilité est croissante en raison de la collusion entre décomposition familiale, anomie, criminalité et terrorisme. L’évolution internationale contribue à accroître les risques par la déstabilisation non gérée de nombreux pays.

Notre société est d’abord individualiste et hédoniste. L’effondrement du bon sens et la transformation des citoyens en agents de consommation lobotomisés est au cœur du projet consumériste qui fonde l’économie occidentale. La laïcité est piétinée et dénaturée. Son respect devrait conduire à écarter le mot “communauté“ du discours public. La dérive communautaire favorise le risque d’affrontement. Il n’y a pas place, en France, pour une communauté juive ou musulmane. Il n’y a que des citoyens français dont la confession relève de la sphère privée. Les acteurs religieux doivent pouvoir s’exprimer en tant que « confession » et non « communauté de fidèles ». Ce n’est pas « mademoiselle » qu’il aurait fallu retirer du vocabulaire, mais le mot « communauté » dès lors qu’il ne concerne pas la Nation prise dans son ensemble.

• L’action aux frontières est-elle suffisamment efficace ?

Au plan des moyens d’action, je considère, pour avoir été à l’origine d’un rapport sur les risques migratoires en France, que le traité de Schengen, quant à la surveillance des frontières de l’Europe, est une véritable trahison de notre pays dans la mesure où sa signature a été le résultat d’un compromis politique qui ne tenait pas compte de la faisabilité opérationnelle d’une surveillance efficace. Par ailleurs, le dispositif de qualification mis en place obéissait plus à des impératifs de temps politique que réellement capacitaires. L’élargissement de la libre circulation à des pays déstabilisés (tels que Roumanie, Grèce) ou présentant des fragilités majeures à leurs frontières était une absurdité totale, voire suicidaire.

En France, des services sont efficients, mais il y a un vrai problème d’ego qui pollue tout. L’échec de la DCRI est pour moi patent et sans appel. Je dois dire que j’ai trouvé les mots de M. Squarcini pour le Ministre Alain Juppé totalement outrecuidants et inacceptables de la part d’un simple fonctionnaire de police.

J’observe enfin, dans le brouhaha des acteurs du Renseignement et autres spécialistes, que la Gendarmerie n’appartient plus réellement au monde du Renseignement (100 000 femmes et hommes). C’est le résultat des corporatismes et des amitiés parfois douteuses entre politiques, le monde préfectoral et fonctionnaires de police, du lobbying effréné des syndicats de police, mais aussi des armées et de la faiblesse de ses propres chefs. C’est une grave erreur.
Une telle question justifierait un livre. Ne croyez pas trop au « secret de l’action du Gouvernement ». Mon expérience de la réalité de la République m’a totalement décapé sur de tels mythes. C’est souvent très décevant…

• Les camps d’entraînement d’Al Qaïda, en Afghanistan et au Pakistan, sont connus. Or, après le drame de Toulouse, on a l’impression de les découvrir… Faut-il des atrocités pour admettre ces réalités géopolitiques ?

Vous avez là l’illustration de la volatilité, que dis-je, du « surfing » de nos sociétés. Le zapping permanent conduit à ne plus distinguer l’important de l’accessoire au profit du « faire le buzz ». Les politiques en sont la preuve évidente. C’est totalement pitoyable. Mais cela répond aussi aux attentes des Français ! Votre question dans ce contexte en est l’écho d’une certaine façon.
Les grands engagements solennels et matamoresques seront vite oubliés au profit d’autres réalités plus immédiatement rentables pour ceux qui font, finalement, profession du bruit. Faire la guerre au terrorisme est extrêmement complexe car c’est global. Regardez la réalité politique de l’Europe et vous aurez une vue réelle de notre capacité d’action.

J’estime que la lutte repose aujourd’hui sur les épaules de seulement quelques hommes qui se dévouent dans l’ombre à un métier passion. Nous sommes fragiles, mais Dieu merci, ils ne demandent rien, eux.

Quand j’entends certaines déclarations sur l’immigration et le traitement des étrangers en France, je me dis que certains sont inondés par leur cœur ; d’autres rejettent le concept de patrie ou sont transportés par leur haine. Mais tous sont aveugles, sans aucun doute…

• Votre avis au sujet du Raid et du GIGN, deux unités d’élite rivales ?

Seuls les membres du RAID savent la réalité. Ils sont face à eux-mêmes et en portent le poids. J’observe que le politique et les médias ont eu une présence sans doute excessive. Au plan technique, je relève que toutes les capacités disponibles et spécialisées dans notre pays n’ont pas été employées pour prendre M. Merah vivant.

Je sais aussi le rôle des « egos » dans ce genre de manip, aussi bien chez les acteurs que les décideurs. J’ai vécu en direct la préparation et le déroulement de l’assaut de l’Airbus depuis le cœur du GIGN. Sur les moquettes parisiennes, la grandeur y côtoyait la médiocrité, la fuite à Varennes, la poitrine (des autres) offerte aux feux ! J’y ai vu les manœuvres pour tenter de dessaisir le GIGN ! La perversité n’est pas dans les têtes des hommes qui vont au carton, mais dans celles de ceux qui les envoient.
Je souhaite que ceux qui sont d’action restent solidaires, c’est tout, car la Nation a besoin d’eux.

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