samedi 30 juin 2012

Quand les faux monnayeurs
risquaient de finir
dans l’huile bouillante !


De tout temps, les hommes avides d’argent ont pensé que s’ils parvenaient à en fabriquer à l’identique... ou presque, leur fortune serait assurée ! Sur ce chapitre, ils n’ont jamais manqué d’imagination. « Au XVIe siècle, par exemple, ces pratiques étaient répandues, y compris dans notre région » explique l'historien Marc Seguin.

Faux monnayeurs, tricheurs : les hommes du XVIe ne manquent pas d'imagination !

C'est en consultant les Archives que Marc Seguin s'est aperçu que les affaires de faussaires et les faux monnayeurs étaient nombreuses au XVIe siècle. D’emblée, il plante le décor en donnant la parole à Marguerite Rasque. En 1581, à Matha, elle injurie vivement son voisin : «Nicolas Martin est un cornard, un voleur, un faiseur de faulce monnoie». La dame est en colère et ne mâche pas ses mots. L’affaire est grave et pour cause, fabriquer de fausses espèces sonnantes et trébuchantes est un crime de lèse-majesté puni de la peine de mort, au même titre que la révolte armée. Toutefois, la crainte d’un tel châtiment ne les dissuade guère.
Ces pratiques sont si répandues que l'historien en arrive à cette remarque : « les documents judiciaires noircissent souvent la réalité. Mais, dans le cas présent, le crime de fausse monnaie est poursuivi avec une grande fréquence». Il est vrai que les Saintongeais d’alors étaient de « nature farouche et mouvante ».

De toutes pièces !

Sur le marché, trois grandes catégories de pièces sont en circulation, les écus d’or, le gros d’argent, le teston frappé après 1514 (il comporte une tête gravée), les pièces de billon (liard ou douzain) faites d’un alliage de cuivre et d’argent.
Malheureusement pour elle, la France est pauvre en gisements de métaux précieux. Lors de son tour de France royal, Catherine de Médicis s’intéresse d’ailleurs à la châtellenie de Montendre où les sables de Double pourraient abriter quelques filons d’argent. Vaine espérance. Conséquence, la matière première vient du Pérou en particulier et transite par l’Espagne.

Les monnaies sont frappées dans des ateliers par des batteurs agréés par le monarque, à la Rochelle et Bordeaux en ce qui nous concerne. Les responsables de ces opérations bénéficient d’un vrai prestige. Toutefois, compte tenu de leur fonction, ces hommes sont par définition « riches et suspects ». C’est pourquoi, en juin 1539, le Parlement confie au conseiller saintongeais Charles de la Rébuterie et à Etienne Eymar « la charge d’enquérir contre les maîtres de la monnaie, gardes et contre-gardes changeurs, fourniers et autres qui exercent pour le change de tous les écus, doubles ducats et autres pièces d’or et d’argent » afin de précéder « contre les faux monnayeurs ».

Passionnée par l'époque médiévale, Serge Androver, de Neuvicq le Château (17), propose des animations où sont frappées des pièces de différentes époques. Il ne risque aucune poursuite !

«Cette activité est aussi répandue que le vol et les viols » souligne Marc Seguin en clin d’œil à cette période plutôt rustre. La sanction qui attend le faux monnayeur a pourtant de quoi effrayer : il est condamné à avoir la tête plongée dans une récipient d’huile bouillante. Néanmoins, cette sentence est peu appliquée (Marc Seguin a relevé deux cas seulement, à Bordeaux et Toulouse). Après été soumis à la question et torturé, le coupable est pendu et son corps brûlé. Pour échapper à la justice, quelques-uns, plus malins, se glissent dans les rangs de la religion réformée, réalité que déplore Antoine Lescure, procureur général du Parlement. Il écrit au Roi que ces rassemblements de la nouvelle religion abritent « une infinité de larrons, voleurs et faux monnayeurs qui demeurent sans aucune punition ».

Il faut avouer que le contexte général, confus, est responsable de ces malversations. Les variations monétaires entraînent des conversions délicates. Les pièces se multiplient, l’écu s‘impose tandis que le peuple s’obstine à compter en livres.
Située en bordure d’Atlantique, la Saintonge est une terre de « commerce européen ». Les ventes de bois pour la tonnellerie, vin, céréales, papier, chanvre, sont prospères et expliquent la profusion de pièces espagnoles, italiennes, anglaises, voire flamandes, admises par le pouvoir royal.
Devant une telle diversité et en présence de monnaies spécifiques à certaines villes (Brouage, Bordeaux), vous comprenez qu’il est facile d’être berné. Les brigands le savent bien et organisent des trafics.

Des calices transformés en monnaie !

Dans la région, les procès concernant les brigands sont légion. Parmi eux, Antoine Chauvet de Chalais et Jean Gasquet de Cressac (sur l’actuelle commune de la Génétouze) sont pendus, puis brûlés avec leurs fausses pièces et matériel utilisé. Les deux hommes avaient fait passer de l’étain pour de l’argent en fondant de vieilles cuillers dans des moules en argile. En raison du danger, les faux monnayeurs se cachent à l’abri des regards, un réseau de complices étant chargé d’écouler la production dans les environs (ces réseaux ne sont pas constitués que de petites gens. On peut y trouver des juges et des magistrats dont les fonctions pèsent lourd en matière de représailles).

Un « chef de gang » est arrêté dans l’auberge mal famée de l’étang de Forges, au Douhet. Le dénommé Pinson, qui a été «ésorillé» à Saintes (on lui a coupé les oreilles pour ses larcins) s’adonne à cette activité lucrative, pillant les églises et dérobant la vaisselle des particuliers. Correctement outillé, il emploie de coins pour obtenir des pièces de belle apparence. Le prévôt des maréchaux (ancêtre de la gendarmerie, d’où «maréchaussée») et une véritable armada parviennent à l’arrêter.
Durant les guerres de religion, les choses deviennent plus faciles : on vole les édifices religieux au nom de Dieu, ce qui donne bonne conscience : «ce calice est le bien du diable, il faut le jeter en enfer». Et hop dans la besace pour être fondu !!!

Du côté de Barbezieux, Jacques Morin et Pierre Fromentière, prêtres, Goguet, un futur moine, et deux maréchaux (ancêtres des ripoux) sont arrêtés. Comparaissant devant un tribunal ecclésiastique, ils sortent de l’impasse... moyennant une bourse bien remplie. Néanmoins, certaines dénonciations peuvent être motivées par la malveillance et la jalousie. Si l’intéressé est bien défendu, il est acquitté.
Sur le terrain, la justice, rendue par les prévôts des maréchaux et leurs lieutenants, est souvent expéditive. Les hommes de loi, qui les estiment cruels, leur vouent une haine farouche. A Saintes, entre 1550 et 1562, trois d’entre eux, Pierre Guibert, Jean Turquois et Jean Grimaud, (huguenots) prennent un malin plaisir à casser leurs décisions...

«Mensonges, déloyauté, tromperies en tous genres : on voit que ce siècle n’est pas à la sainteté» constate Marc Seguin. Malgré tout, le goût du savoir conduira à l’éclosion de la science. Le XVIe siècle prépare en secret le futur «honnête homme» du XVIIe, c’est pourquoi il mérite toute notre attention...

Invité à Jonzac (17) récemment, Serge Androver et son épouse Amina ont fait sensaiton en replongeant le public dans l'époque médiévale.



• Au sujet des alchimistes

Chez les personnes cultivées, souvent fortunées, manipuler la matière ou mieux, rechercher la fameuse pierre philosophale, est une véritable «passion». L’alchimie, dont l’un des objectifs est la transmutation de métaux vils en or, est dans l’air du temps. Le but est excitant, mais difficile à atteindre ! La région abrita moult alchimistes, si l’on en croit le livre du Croît Vif «Crazannes, demeure alchimique» et surtout les caissons énigmatiques du château de Dampierre-sur-Boutonne.
Les chercheurs parvenaient-ils à leur fin ? Nul ne le sait puisque l’alchimie est «hermétique» par excellence. Pour Marc Seguin, «il s’agit non pas de transmutation, mais d’augmenter les quantités d’or ou d’argent».

Ceux qui s’y livrent, comme l’écuyer Pierre Chesnel, seigneur de Boisredon, risquent la prison. De ce fait, Joachim de Sainte-Hermine, seigneur du Fâ, sait se montrer prudent. Après avoir rendu des comptes à la justice une première fois, il s’installe à la Rochelle où lui est indiqué «un homme subtil et expert en distillations en diverses eaux pour la santé des personnes», puis un savant «entendant les secrets de la nature dont l’augmentation de l’or ou d’argent jusqu’au tiers». Voilà qui est intéressant !

Quelques mois plus tard, par l’entremise du seigneur de Rouffiac, il accepte de le rencontrer. En octobre 1537, le personnage, qui se fait appeler «le médecin», se trouve à Plassac. La belle aubaine ! Joachim arrive avec, dans sa besace, de la vaisselle d’argent rompu qui servira à l’expérience. L’homme fait ses «opérations» et c’est la déception : seul un alliage est obtenu. D’autres tentatives ont lieu, sans grande conviction. Sentant la supercherie, Joachim craint d’avoir été abusé : en châtiment, l’homme recevra des coups de bâton ! Quant au seigneur de Rouffiac, il lui conseille d‘avoir de meilleures fréquentations… vu les risques auxquels il s’expose.

Le son du cor !

• Bernard Palissy fasciné par les faux-monnayeurs

Bernard Palissy évoque ces criminels à plusieurs reprises et ne réussit pas à dissimuler la fascination presque malsaine qu’il éprouve pour leurs talents. Il y a une première raison : il est obsédé par un rêve, celui de s’enrichir. Il estime le mériter à cause de ses talents et de son labeur acharné, plus en tout cas que les notables saintais qui tirent leur opulence de leurs rentes et non de leur travail. Il y a une seconde raison : à leur manière, et comme lui, ce sont des chercheurs, des artistes, des hommes du feu. Il a aussi été le coreligionnaire et l’ami du prévôt des maréchaux Jean Grimaud. Tous deux ont partagé, avec le chanoine huguenot Christophe Arrouhet, les prisons malsaines de l’Ombrière à Bordeaux au début de 1563. Ils ont eu le temps d’évoquer longuement ces questions.

Il relate l’aventure d’un Béarnais, arrêté en Saintonge. On trouve sur lui 400 testons prêts à marquer. Quand ils sont mis à la coupelle, la fausseté est découverte.
Il nous renseigne aussi sur l’étendue du mal. Jean Grimaud a fait le procès d’un faux-monnayeur. Celui-ci lui aurait dénoncé 160 autres personnes qui s’adonnaient à cette activité structurée et florissante, en toute impunité.
Pourquoi n’ont-elles pas été arrêtées ? Parmi elles, se trouvaient plusieurs juges et magistrats tant du Bordelais, du Périgord que du Limousin…

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