jeudi 27 décembre 2012

La schizophrénie,
parlons-en avec
le professeur Jean-Pierre Olié

   

Voyage au centre du cerveau

Originaire de l’Aveyron, il voulait devenir médecin généraliste « pour faire plaisir à sa famille ». Aujourd’hui, le professeur Jean-Pierre Olié est chef du service de psychiatrie à l’hôpital Sainte-Anne à Paris et professeur à la faculté de Médecine de l’Université Paris Descartes. Membre de l’Académie Nationale de Médecine, Président de la Fondation Pierre Deniker, 
ce spécialiste de la schizophrénie, invité dernièrement par le Rotary Club de Royan, répond à nos questions.


• Professeur Olié, quels symptômes permettent de diagnostiquer la schizophrénie ?
Le diagnostic se fait sur trois séries de symptômes qui apparaissent entre 17 ans et 30 ans. Ils peuvent être positifs, négatifs et de désorganisation. Les symptômes positifs sont des manifestations qui n’existent pas dans un comportement ordinaire comme les hallucinations, le délire, l’angoisse. Les symptômes négatifs sont, au contraire, des manifestations manquantes telles que le déficit émotionnel, la perte d’initiative, une indifférence affective, des difficultés de concentration et de motivation. S’y ajoutent la désorganisation comme l’incohérence des idées et du propos ainsi que des bizarreries.

• Quand le terme schizophrénie est-il apparu dans le langage médical ?
Au XIXe siècle, un psychiatre allemand, Kraepelin, a avancé la notion de démence précoce sur le plan intellectuel et affectif. En 1911, son élève Eugène Bleuler, également psychiatre, influencé par les idées de Freud, a proposé le terme « schizophrénie » parce qu’il conteste le côté inéluctable de la démence. Il avait observé que certains malades présentent, au fil du temps, une cicatrisation de leur maladie. Un tiers environ. Les manifestations se tranquillisent pour devenir moins évidentes. En conséquence, ces patients vont pouvoir retrouver des capacités d’autonomie et d’interaction avec leur environnement. Le terme schizophrénie, qui veut dire perte de l’unité psychique, est resté dans le vocabulaire.

• Quel est pourcentage de malades qui parvient à sortir la tête hors de l’eau ?
Entre 20 et 25 % des patients atteints de schizophrénie retrouvent des capacités pour vivre de manière normale dans la société. Ils ne présentent plus les symptômes qui avaient permis d’aboutir à un diagnostic.

• Est-ce lié à un traitement ?
C’est une grande question. J’aimerais répondre oui. Les traitements dont on dispose actuellement limitent le nombre de patients qui risquent d’évoluer vers la démence précoce décrite par Kreapelin. Ils réduisent leur pourcentage de 10 % à 15 %. En conséquence, grâce aux traitements médicamenteux, psychologiques, à la prise en charge sociale, entre 85 % et 90 % des patients ne seront déments précoces.
Seront-ils plus nombreux à être guéris, à retrouver une vie à peu près normale ? On remarque que plus de la moitié des patients atteints de schizophrénie oscillent entre phases d’apaisement et de rechute.

• Où en sont les traitements actuels ? Certains médicaments comme le Zyprexa sont apparemment décriés…
Le premier médicament efficace sur les symptômes de la schizophrénie a été découvert à Paris, à l’hôpital Saint-Anne en 1952. Il pouvait faire cesser les hallucinations, limiter la désorganisation.
Très vite, comme il avait des effets indésirables, on s’est demandé ce qui était le plus stigmatisant : était-ce la maladie ou les médicaments qui rendaient les malades raides, marchant à petits pas comme de personnes atteintes de la maladie de Parkinson ? Aujourd’hui, la nouvelle génération d’antipsychotiques ne présente plus ces inconvénients neurologiques.
Par contre, on a découvert qu’ils agissent sur l’équilibre métabolique de 25 % des patients environ. Prise de poids, augmentation de la graisse abdominale, diabète de type II…
Dans ce domaine, le médicament qui pose le plus de problème est en effet le Zyprexa.
D’autres médicaments possèdent moins cet effet métabolique. Ils sont prescrits selon les symptômes prédominants chez les malades.

Dans une société sans cesse plus stressante, le cerveau est soumis à rude épreuve. Peut-on être inquiet pour son équilibre ?
Pas du tout. De nos jours, les connaissances médicales n’ont jamais été aussi pointues dans ce domaine. L’imagerie cérébrale permet de voir quels sont les réseaux neuronaux qui conditionnent, qui portent nos émotions. J’ai vu la psychiatrie perdue dans une recherche de localisation anatomique des lésions, évoluer vers une compréhension des dysfonctionnements contemporains des souffrances.
Prenons par exemple le suicide. Les psychiatres savaient depuis toujours que les opiacés sont le meilleur traitement contre la dépression.
Quel lien savait-on faire entre le fait que la morphine soigne la douleur physique du cancéreux et la douleur psychique du déprimé ? L’imagerie nous montre que les faisceaux neuronaux qui portent la douleur psychique sont ceux qui portent la douleur physique.
Certaines maladies dépressives s’expriment par une douleur somatique. Comment réveille-t-on ces réseaux lors d’une IRM ? On place le patient dans la situation d’un jeu virtuel comprenant trois intervenants. Si les deux premiers joueurs se mettent à exclure le troisième, les faisceaux de la douleur psychique vont commencer à clignoter. L’exclusion sociale provoque la douleur, l’imagerie le démontre. Les technologies nous permettent de comprendre comment fonctionnent nos émotions.
À partir de cette connaissance, on saura développer des stratégies thérapeutiques, qu’elles soient médicamenteuses ou non. C’est la même chose pour la schizophrénie. Le cerveau d’une personne atteinte de cette maladie fait le même effort de productions d’ondes face à un même stimulus répété de manière rapproché.
À l’avenir, on parviendra à corriger le déficit de filtrage par des techniques chimiques ou de rééducation. Cette anomalie de filtrage existe chez 50 % des parents d’une personne atteinte de schizophrénie. Toutes ces pistes à explorer sont passionnantes.

• Les objectifs de la fondation Pierre Deniker sont la prévention, information et recherche sur les structures cérébrales, les facteurs génétiques, environnementaux et socio-économiques déterminant les comportements normaux et anormaux. Ce professeur de psychiatrie a effectué toute sa carrière à l’Hôpital Sainte-Anne et à la Faculté de médecine Cochin.

• Univers carcéral 
 La population carcérale  compte environ 20 % de schizophrènes. Ils ressortent en général non diagnostiqués et donc non soignés. D’où des récidives qui font malheureusement la une de l’actualité. « Un schizophrène n’a pas sa place dans une prison. Il est malade et doit recevoir des soins » estime le professeur Olié. L’appareil législatif a encore du travail sur la planche…

• Table ronde avec les professeurs Dubois, spécialiste d’Alzheimer, Jean-Pierre Olié, psychiatre et Jean-Didier Vincent, neuropsychiatre et neurobiologiste, invités par le Rotary Club de Royan.

Les professeurs Dubois, Olié et Vincent
Le professeur Jean Didier Vincent
Le dr Olivier Dubois, psychiatre à Saujon, l'un des organisateurs de cette soirée-débat avec les membres du Rotary Club de Royan

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