dimanche 23 juin 2013

Danièle Mazet-Delpeuch :
L'ancienne cuisinière
de François Mitterrand à Cognac


C'est au château de Bagnolet, propriété de la maison Hennessy que Danièle Mazet Delpeuch a fait étape vendredi dernier aux côtés de Nicole Cornibert, présidente d'Eurociné Cognac, de l'auteur Françoise Barbin Lécrevisse et de Jean-Pierre Rafenaud, de l'association Gourmets-Gourmands. En soirée, elle a présenté le film "Les saveurs du palais" qui lui a été consacré via son "double" à l'écran, la pétillante Catherine Frot.

A Bagnolet, l'ancienne cuisinière de François Mitterrand à l'Elysée a rencontré David Fransoret, un jeune chef « doué et modeste » pour qui elle a eu un coup de cœur, à n'en pas douter. Tous deux aiment à combiner les saveurs et valoriser cette cuisine dite bourgeoise ou gourmande qui fait de la France un pays à la riche gastronomie.

Danièle Mazet Delpeuch est à la ville ce qu'elle est au milieu de ses fourneaux, exigeante, précise, sérieuse et charmante malgré ce côté pète-sec qu'elle reconnaît volontiers. Bref, cette femme de terroir privilégie l'authenticité à la fausse lumière des apparences. Pas étonnant que François Mitterrand, qui n'avait pas oublié ses racines charentaises, l'ait choisie. Il savait qu'il pouvait compter sur elle et lui demander, à n'importe quelle heure, de préparer l'un de ces plats qui régalent les papilles. Elle s'exécutait et pas seulement parce qu'il était son "patron" !
A la campagne, ces maîtresses femmes qui règnent sur l'organisation des repas, de la table en l'occurrence, ne savent pas tricher. Cette qualité, le président la connaissait pour l'avoir vécue dans son enfance à Jarnac. En effet, si les souvenirs ont tendance à s'estomper avec les ans, les odeurs agréables restent gravées dans les mémoires. Il suffit alors d'un rien pour les raviver, d'un effluve qui flotte dans l'air du temps, fumets, tarte aux pommes, pain grillé, confitures. Dans la solitude du pouvoir, cette quiétude retrouvée était pour le chef de l'Etat un instant précieux.

Durant quelques années, sans tambour, ni trompette, François Mitterrand et Danièle Mazet Delpeuch ont tissé ce lien de confiance indispensable à la solidité de leur "aventure" commune.

David Fransoret, cuisinier de la Maison Hennessy, Danièle Mazet Delpeuch et Benoît Gindraud, responsable vieillissement et tonnellerie à la maison Hennessy
• Danièle Mazet Delpeuch, comment est née l'idée du film "Les saveurs du palais" ?

Au départ, j'ai eu un portrait d'une page dans Le Monde qui est paru le 24 décembre 2008. Il était écrit par Raphaëlle Bacqué. Il se trouve qu'un producteur l'a lu. Il m'a appelée et m'a dit "ça fait très longtemps que je veux faire un film sur la cuisine, je voudrais vous en parler". J'ignorais qui il était à l'époque et je pensais qu'il n'y aurait pas de suite. En effet, quand vous avez ce type d'article dans un journal, vous avez généralement des tas de contacts sans lendemain. Je me souviens en particulier d'un éditeur qui voulait faire un livre avec moi et qui se demandait si je connaissais assez de recettes… Sans commentaires !
Ce producteur, quant à lui, m'a téléphoné régulièrement. Au bout d'un an, il avait trouvé un metteur en scène et voulait que nous signions le contrat. J'ai rétorqué qu'il pouvait concrétiser son projet, mais que je n'avais rien à dire sur la vie du Président. Plus tard, il m'a recontactée. L'actrice avait été désignée, il s'agissait de Catherine Frot. Vous connaissez la suite. S'il n'a pas changé le cours de ma vie, ce film m'a permis de nouer ou de renouer des liens. Ainsi, j'ai retrouvé Françoise Barbin Lécrevisse, rencontrée sur un salon en 1997. Son livre sur le gingembre m'avait beaucoup intéressée.

Françoise Barbin Lécrevisse et Danièle Mazet Delpeuch
• Quel regard portez-vous sur ce film qui met en scène une expérience de votre vie ?

Chacun a le droit d'avoir son propre avis mais personnellement, j'aime beaucoup ce film. En le voyant pour la première fois, j'ai éprouvé un contentement devant la simplicité. J'apprécie Catherine Frot. Elle est époustouflante, joueuse, riante et extrêmement adroite avec les gestes de cuisine alors que c'est une personne qui ne cuisine pas ! Cette actrice accomplie est une femme généreuse qui m'a beaucoup aidée à vivre l'aventure de ce film.

• Que pensez-vous de la façon dont Jean d'Ormesson a incarné le rôle du président de la République ?

Apprendre qu'il allait incarner un président de la République à l'écran, c'était un peu comme un enfant qui ouvre une pochette surprise. Je trouve qu'à son âge, avoir cette attitude simple devant les cadeaux de la vie, c'est quelque chose d'étonnant. Ensuite, il s'est appliqué à faire le président. Bien sûr, on lui a dit de ne pas singer Mitterrand, ce n'était pas ce que voulait le producteur.
Jean d'Ormesson, je l'ai vu durant la scène où la cuisinière rencontre la président pour la première fois. Il y a eu neuf prises. Il répétait son texte en écoutant les conseils prodigués comme un élève appliqué. J'étais en admiration. Il a confié qu'il s'était inspiré de son père qui était ambassadeur. Catherine, femme délicate, estime que sa présence a donné une note poétique à ce rôle.
Ma première rencontre avec lui s'est faite pendant le tournage. Au fond d'un couloir, il était en train de parler avec le réalisateur quand tout à coup, nos regards se sont croisés. Il est alors venu vers moi et m'a dit « chère Madame, je vous aurais reconnue. Je dois vous remercier, vous m'avez donné le plus grand plaisir de ma vie, celui de faire l'acteur ». C'était touchant.

Catherine Frot et Jean d'Ormesson
• Quels ont été vos rapports avec Catherine Frot durant le tournage du film ?

Très cordiaux. Elle m'a dit : « Danièle, on va discuter toutes les deux parce dans ce film, il y aura des moments où ça va être difficile ». Je ne le pensais pas vraiment. Je trouvais le scénario sympa. Bien sûr, j'aurais aimé que quelques petites choses n'y figurent pas, mais on m'a répondu qu'au contraire, elles devaient y être. Quand elle envoie promener toute les batteries de cuisine, chacun sait qu'un cuisinier raisonnable ne ferait pas un tel geste ! Moi, en tout cas, je n'enverrai jamais par terre des cuivres de 300 ans !
Par la suite, j'ai réalisé que Catherine avait raison car j'ai un peu souffert. Je voulais faire la cuisine pour les prises du film par exemple. On m'a dit que que ça n'irait pas parce que j'étais trop impliquée : ça été une vraie bataille !
En ce qui me concerne, elle préférait que je ne sois pas sur le plateau quand elle jouait mon rôle. C'était compliqué pour elle. Je comprends son attitude et elle m'a aidée à passer ce cap en parlant avec moi. Le réalisateur et l'ensemble de l'équipe de tournage ont été honnêtes avec mon éthique, à savoir qu'on ne raconte pas de choses intimes sur François Mitterrand. Tout ce que j'avais à dire, je l'ai écrit dans mon livre.
Avec ce film, on ne peut plus ignorer que la bonne cuisine de salle à manger française peut aller autant à l'Elysée qu'en Antarctique, en Amérique ou dans le monde. Partout, elle intrigue, elle intéresse. C'est un atout majeur, non seulement pour les producteurs et les cuisiniers, mais pour le tourisme tout entier.

• Finalement, vous avez quitté l'Elysée où vous êtes restée deux ans. Quels sont vos projets actuels ?


Toutes les aventures ont une fin ! Actuellement je fais peu la cuisine car j'assure la promotion du film. La semaine prochaine, je me rends au Japon. Je suis cuisinière depuis cinquante ans et je partage les idées de David Fransoret. Elles tournent autour de la cuisine bourgeoise. Elle incarne la fidélité, il y a là l'essence de la région. J'habite la campagne, j'ai une vie rurale et je connais mes fournisseurs. Quand leurs produits sont bons, je n'hésite pas à le dire autour de moi !

• Avez-vous une spécialité culinaire ?

Non, je n'ai pas de spécialités. Si vous posez la question à David Fransoret, il vous répondra la même chose. Quand on est aux commandes d'une maison, il faut savoir s'adapter même si votre employeur ne présente pas d'exigence particulière. Il vous propose un projet, de créer telle ou telle ambiance. François Mitterrand aimait la cuisine charentaise.

Propos recueillis par Nicole Bertin

• Danièle Mazet Delpeuch : « Mais qu'est-ce qui avait piqué François Mitterrand pour qu'il dise : j'en ai marre de la cuisine de chef, je veux une femme de la campagne ! Il n'y a que lui pour répondre à cette question. Une fois par jour au moins, tout le monde a besoin de se restaurer. A ce moment-là, vous voulez fuir les complications, surtout quand vous êtes président de la République ! On retrouvait chez Mitterrand la douceur de la Charente, ce calme environnant ».
Danièle Delpeuch a raconté son aventure élyséenne dans « Carnets de cuisine, du Périgord à l'Élysée » paru en 1997 aux Éditions n° 1
C'est Joël Robuchon, dont elle a connu la cousine à New York, qui a parlé d'elle à Mitterrand. Danièle est restée deux ans à l'Elysée, de 1988 à 1990. « Je n'ai pas donné ma démission, contrairement à ce qui est raconté dans le film. J'ai demandé au président de m'autoriser à rentrer chez moi. Il a accepté ».

• Le film "Les saveurs du palais" est sorti en septembre 2012
Catherine Frot, alias Hortense Laborie, y incarne une cuisinière du Périgord au service du président de la République. Le film s’inspire de l'expérience vécue par Danièle Mazet Delpeuch. Ce n’est pas le cinéaste Christian Vincent qui a eu l’idée de faire ce film autour de cette histoire, mais le producteur Etienne Comar. 



• Les vies de Danièle Mazet Delpeuch
Cette agricultrice du Périgord, qui vit à Chavagnac, a été l’une des premières à proposer des stages "week-ends foie gras et truffes" dans les années 70. Passionnée de cuisine, elle a ensuite quitté la France pour vivre aux Etats Unis, là où tout est possible quel que soit son âge. Elle y a donné des cours de cuisine et tissé des liens. Par la suite, elle a même connu une expérience au sein d'une mission en Antarctique.
En 1988, François Mitterrand, qui s'était lassée de la cuisine officielle, la recrute. A cette époque, il dispose pourtant d'un chef renommé Joël Normand et d'une grande équipe. Masculine bien sûr. A son arrivée, Danièle Mazet Delpeuch doit s'imposer dans ce milieu assez fermé. Elle y parvient ! Aujourd'hui, elle assure la promotion du film "Les saveurs du palais". D'où sa venue à Cognac la semaine dernière.

David Fransoret et Danièle Mazet Delpeuch


 
Lors du déjeuner à Bagnolet, superbe propriété de la maison Hennessy, il a été question de produits régionaux, caviar de la Gironde, chapon de Barbezieux, cerise charentaise, etc

Jean-Pierre Rafenaud, de l'association Gourmets Gourmands
• Au sujet de la maison de Jarnac de François Mitterrand où Danièle Mazet Delpeuch n'est jamais allée (question soulevée par le journaliste Patrick Guilloton) :
« Effectivement, je ne suis pas allée dans la maison de François Mitterrand à Jarnac. Je m'en explique, ce n'est pas un caprice. Connaissant François, Danièle et Marguerite Mitterrand, je ne serais pas entrée chez eux sans invitation de leur part. De mon côté, on ne vient pas chez moi comme un âne dans un moulin ! Je n'ai jamais eu l'idée de visiter la maison de François Mitterrand, à plus forte raison quand je suis en représentation pour la promotion de ce film ! J'imagine la surprise des trois enfants Mitterrand si on leur disait que l'ancienne cuisinière de leur père a parlé de sa visite dans la maison familiale de Jarnac ! Dans le monde où j'ai été élevée, ça ne se fait pas. Peut être que je me trompe après tout !

Patrick Guilloton et Danièle Mazet Delpeuch
• David Fransoret, quelle est la définition de la cuisine bourgeoise ? 

Il s'agit de servir des produits frais, des grosses pièces, des viandes, des poissons entiers. IL s'agit d'une cuisine généreuse. Le terme de cuisine bourgeoise existe depuis longtemps et elle concerne aussi le service. Autrefois, dans les familles bourgeoises, on posait les plats sur la table et les convives se servaient. C'était toute une ambiance autour de la cuisine. Cependant, je ne suis pas contre la cuisine moléculaire, mais il faut savoir l'adapter. Professionnellement, j'ai fait mes première armes chez Moët et Chandon.


• La bible de la cuisine bourgeoise est le livre de Madame de Saint-Ange écrit sous le pseudonyme de Marie Ébrard. Larousse l'a publié en 1927. Il décrit en détail la cuisine bourgeoise du début du XXe siècle ainsi que la batterie de cuisine, les appareils et ustensiles qui sont nécessaires. D'autres éditions ont été éditées. Cet ouvrage a servi d'inspiration à des cuisiniers américains (Julia Child, Paul Aratow, co-fondateur du célèbre restaurant californien Chez Panisse).

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