samedi 19 avril 2014

Les maires “courage”
de La Rochelle


De Montmirail à Michel Crépeau, ce livre, publié aux éditions du Croît Vif, dresse la liste des maires dont les personnalités et les parcours sont à eux seuls de vrais romans. Par cette publication, l’éditeur, François Julien Labruyère, montre qu’il est attentif à l’histoire régionale, dont le bastion mythique est La Rochelle, tout en donnant au travail du collectif conduit par Olivier Lebleu, une dimension de générosité. En effet, les droits d’auteur seront versés à la restauration du magnifique hôtel de ville qui a été la proie des flammes l’an dernier. 



• François Julien Labruyère, comment est née l’idée de ce livre dont les droits d’auteur et une partie des bénéfices seront versés à la reconstruction de l’hôtel-de-ville de la Rochelle ? 

L’idée est venue d’Olivier Lebleu, le coordinateur de l’ouvrage. L’ayant trouvée séduisante – et plutôt rare de la part d’auteurs – j’ai tout de suite considéré que c’était une proposition généreuse et que le Croît vif complèterait cette somme à équivalence. Au moment de la décision de publier le livre dans ces conditions, celui-ci n’était pas du tout écrit. Je n’en connaissais que le titre trouvé par Olivier Lebleu en rappel de la pièce de Brecht, Mère courage. J’ai demandé qu’on organise une réunion des auteurs pour bien fixer tout cela et ils m’ont rassuré sur la faisabilité du livre car j’y ai été frappé par leur enthousiasme à l’idée de participer au renouveau de l’hôtel de ville de La Rochelle. Sur deux points : leurs textes et la cession de leurs droits d’auteurs.

 • Que représente, pour vous, ce lieu historique qui a été la proie des flammes en juin 2013 et plus généralement la ville de La Rochelle ? 

La Rochelle est un des grands symboles de l’attachement qu’on éprouve à l’égard des Charentes. Et son hôtel de ville est un des grands symboles de La Rochelle. Je suis comme tous les Charentais ; je vibre à l’idée du passé brillant – parfois rebelle – de la ville et conserve en mémoire quelques noms de maires qui l’ont rendu glorieux. La Rochelle peut paraître frivole, agaçante même par son côté mode, mais elle est belle et surtout chacune de ses pierres raconte quelque chose qui m’est proche. Enfant, j’ai habité La Rochelle, mon père y était médecin, c’est là que j’ai appris à lire. Et appris aussi à regarder le port, à me cacher sous les arcades ou à écouter les histoires que ma mère racontait devant les statues de l’hôtel de ville.

Gravure du XVIe siècle
•  Qui sont les auteurs de cet ouvrage ? Pouvez-vous nous les présenter ? 

Les auteurs sont au nombre de dix. Ils ont tous un lien personnel avec La Rochelle et ont tous déjà écrit des articles ou des livres sur l’histoire de leur ville. C’est dire que le groupe qu’ils forment pour ce livre est le plus opérationnel de tous ceux qui pouvaient être constitués. D’Olivier Lebleu, je dirais simplement qu’il est l’auteur de plusieurs bons livres dont l’un me tient particulièrement à cœur : il s’agit des « Avatars de Zarafa », la fameuse girafe du muséum de La Rochelle, dont l’histoire qu’il en a donnée a reçu en 2008 le prix Madeleine La Bruyère – mon arrière-grand-mère – décerné par l’Académie de Saintonge. Je connaissais bien deux autres auteurs, François Pairault parce qu’il a publié au Croît vif une excellente biographie du baron Eschassériaux, et Pascal Even qui est un de mes collègues parmi les plus compétents de l’Académie de Saintonge. Les autres, je ne les connaissais que de nom, ou très peu : Louis-Gilles Pairault, le nouveau directeur des archives départementales, Sylvie Denis, la conservatrice des archives municipales de La Rochelle, Richard Lévesque, l’historien d’art, trois historiens locaux, Jean-Claude Bonnin, Olivier Ginestet et Robert Kalbach, et enfin – last but not least – Marion Givelet Bodoy qui écrit des livres pour enfants et a la réputation d’être une des meilleurs guides de la ville. Je sais que je vais choquer tous les autres auteurs qui ont pondu de bons textes, parfois même excellents, chacun avec son talent propre. Mais ils se trouvaient dans le moule de ce qui leur était demandé, c’est-à-dire un chapitre historique, biographique ou archéologique, autrement dit du documentaire pur et simple.
Marion Givelet Bodoy, en revanche, signe un texte tout à fait différent qu’elle appelle « La dernière visite ». C’est, j’en suis sûr, ce qui restera de ce livre car il est un témoignage vivant et d’une grande sensibilité parce qu’il évoque le drame de l’incendie auquel, d’abord, elle ne peut pas croire. Puis elle se rend à l’évidence : son lieu de visite le plus cher est en train de partir en fumée. « Prise sur le vif, sourire crispé, larmes refoulées », elle répond aux journalistes qu’on lui a demandé de renseigner : « Eh oui, il y a trois heures, je faisais visiter ce qui n’est plus ». Et elle termine son texte loin de toute convention érudite sur un dialogue qui lui trotte dans la tête, entre Guiton, le grand maire du grand siège, et Henri IV, le roi toujours optimiste et réconciliateur : « Les Rochelais, ce n’est vraiment pas leur genre de baisser les bras. Vous verrez, ils ne vont pas tarder à rebâtir »… Tout est dit. C’est superbe, c’est tout simple, c’est sans façon, donc d’une grande élégance, et ce livre en est un premier pas…

Victime d'un grave incendie, l'hôtel de ville nécessite d'importantes restaurations
• Parmi les maires qui se sont succédé, quel est celui qui a retenu le plus votre attention ?

Léonce Vieljeux. Sans le moindre doute. Parce qu’il représente à la fois un des traits les plus marquants de l’histoire rochelaise et un des thèmes qui me sont chers, celui de la résistance morale face à un ennemi, quel qu’il soit. En l’occurrence, l’occupant allemand de la dernière guerre. Guiton est trop excessif, les autres trop politiques. Il y a bien Crépeau dont le courage est celui du charme, mais je ne peux m’empêcher d’admirer ce vieux monsieur de grande bourgeoisie qui semble dépassé par son temps et dont le souvenir est celui d’une aura de héros parce qu’il a su dire non, qu’il a osé dire non et que pour cela, il est monté dans un wagon à bestiaux, avec quelques amis et son petit-fils, pour être ensuite fusillé avec eux au camp du Struthof.


• Les éditions du Croît vif que vous dirigez poursuivent sur leur lancée. Quelles sont les prochaines publications en cours ? 

Je ne vais pas toutes les citer, vous n’auriez pas suffisamment de place pour votre article ! Simplement quatre qui sont caractéristiques de notre maison d’édition dont je vous rappelle qu’elle cherche à être présente sur tous les types de livres consacrés aux deux départements charentais. Je commencerai par un album pour enfants qui raconte l’histoire d’une jeune saunière de l’île de Ré. Tout un monde enchanté de lumière et de marais-salants. Ensuite un grand document : « Histoire de la Préhistoire charentaise ». Il est d’André Debénath, sans doute le préhistorien actuel qui a le plus donné à la région en découvertes multiples. Il y raconte justement comment le goût de la préhistoire est né au XIXe siècle et que les deux départements charentais en ont été un des foyers les plus actifs. Par exemple, pour illustrer que cela touche aussi la Haute-Saintonge, avec le plus célèbre des maires de Pons, le petit père Combes qui fut un chercheur passionné sur le terrain et un promoteur particulièrement efficace de cette nouvelle science… Puis la réédition d’un grand roman de Pierre-Henri Simon, « Les Raisins verts », un de ses textes les plus réussis et celui qui a eu en son temps le plus d’influence sur le monde littéraire ; nous le publions avec une longue et magnifique postface de Jean-Louis Lucet qui analyse en détail tous les aspects du roman, ses personnages, leur environnement social et politique, ainsi surtout que leurs conflits psychologiques. On ne raconte pas un roman, mais ce qu’on y découvre de secrets de famille, d’amours interdites et de destin marqué par les déchirements entre générations reste d’une actualité évidente. Je suis très heureux d’ajouter ce chef d’œuvre au catalogue du Croît vif !
Enfin, un témoignage plus que symbolique, celui de Mohamed Khaldi, l’ancien responsable FLN de la zone La Rochelle-Niort pendant la guerre d’Algérie, à travers lequel on retrouve bien des aspects d’une histoire que nous avons tous encore en mémoire. Quelques épisodes toujours émouvants trament ce « Pourquoi j’ai répondu oui au FLN, d’une oasis algérienne à un jardin rochelais ». Son enfance au Sahara, le camp de travail obligatoire de la construction de la base sous-marine de La Pallice, le rôle d’un jeune avocat qui défend un « terroriste algérien » devant le tribunal militaire, en l’occurrence le futur maire de La Rochelle, Michel Crépeau, la prison qui devient une sorte de caisse de résonance entre les deux attirances, algérienne pour sa mère, et française pour sa femme, son identité assumée de sage franco-algérien, philosophe et poète aujourd’hui âgé de 94 ans, dont l’œuvre commence à se voir reconnue...


• En 1992, lors du sommet de La Rochelle, François Mitterrand et Helmut Kohl décident de créer un corps de défense franco-allemand. Sur cette photo, on reconnaît le maire de La Rochelle Michel Crépeau, le Premier ministre Pierre Bérégovoy et le ministre des Affaires étrangères Roland Dumas. Le nouveau maire de La Rochelle, élu récemment, est Jean François Fountaine qui succède à Maxime Bono.

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