vendredi 21 novembre 2014

Alain Baraton,
le jardinier en chef de Versailles
au château de la Roche Courbon

• Pourquoi les plus vieux arbres ne sont-ils pas classés 
au même titre que les monuments historiques ?  

Entretien avec Alain Baraton, de passage au château de la Roche Courbon, propriété de Philippe et Christine Sébert. Le jardinier en chef du château du Versailles y soulève un certain nombre d’interrogations, sur la protection de l’environnement en particulier. 


Alain Baraton aux côtés de l'écrivain Madeleine Chapsal, de Didier Martin et Didier Catineau (photo N. Bertin)
• Alain Baraton, en quoi consistent vos fonctions à Versailles ?  

De mes prédécesseurs, j’ai hérité du jardin de Versailles. Ma mission est de continuer à l’embellir et surtout de le transmettre aux générations futures. Mon travail est de prendre soin des arbres qui ont été plantés et d’assurer une pérennité au jardin. Je suis une sorte de conservateur, tout en donnant vie au jardin au jour le jour.

• Le parc de Versailles a été plusieurs fois malmené par des tempêtes ? 

En effet, le parc de Versailles a été gravement endommagé par les caprices du temps. Les remarques de certains jardiniers n’ont pas été entendues comme elles auraient dû l’être. Si on avait tenu compte de leurs recommandations, quantité d’arbres auraient été préalablement abattus car ils étaient dangereux. Détruits lors de la fameuse tempête de décembre 1999, ils n’en auraient pas entraîné d’autres dans leur chute. Grâce à la générosité des Français et d’un grand nombre de mécènes, le parc a été entièrement replanté. Il n’est peut-être pas aussi beau que celui que j’ai connu en arrivant à Versailles en 1976, mais il est prometteur.

• Quelle est la superficie du domaine ? 

C’est un domaine de 850 hectares, 43 kilomètres d’allées, 350000 arbres, et depuis cette année, 144000 légumes destinés au potager d’Alain Ducasse. En ville, il y a déjà le potager du Roi, création de Jean-Baptiste de la Quintinie. C’est un lieu merveilleux qui ne dépend pas du domaine de Versailles, mais du ministère de l’Agriculture. Cette année, nous avons donc créé le potager de la Reine à l’emplacement d’une ancienne pépinière. Ayant pour vocation de fournir des légumes bio et savoureux au chef étoilé, il démontre que la gastronomie est née, entre autres,  à Versailles. Finalement, sans le jardinier, le cuisinier n’existerait pas !!! 

• Certains de ces légumes font-ils l’objet d’une protection ? 

Non. Selon Jean-Pierre Coffe, si certains légumes ont disparu de nos tables, c’est qu’ils n’étaient pas bons. Il n’y a aucune raison pour abandonner la culture d’une variété quand elle donne satisfaction : si telle pomme de terre est savoureuse, pourquoi arrêter de la produire ? En conséquence, si certains légumes ont été écartés, on a peut-être bien fait ! Bien sûr, il existe une vocation conservatoire, mais ce n’est pas notre mission. La mienne est de fournir des légumes de qualité à Alain Ducasse. Depuis août dernier, nous le livrons chaque semaine. D’une vaste superficie, le potager est situé dans le hameau de la Reine.

• Comment obtient-on la charge de jardinier du domaine de Versailles ? 

Le titre de jardinier en chef s’obtient par concours. Après avoir été jardinier stagiaire, j’ai passé cet examen et j’ai eu la chance d’être reçu. Il faudrait que je quitte ce poste pour que le concours soit à nouveau ouvert. Ce n’est pas dans mes intentions car c’est un travail que j’aime ! Quand je suis arrivé à Versailles, j’avais une vingtaine d’années.

• Quel est le nombre de personnes qui travaillent avec vous ? 

Le domaine dans son ensemble emploie 900 salariés, dont une centaine dans les jardins. Il faut y ajouter les entreprises privées, les agents de surveillance, la sécurité. Globalement, le jardin de Versailles réunit, tous corps d’état confondus, quelque 200 personnes.

Quel regard portez-vous sur Versailles et Louis XIV son créateur ? 

Avoir la charge de l’un des jardins les plus visités au monde entraîne chez moi une fierté bien compréhensible, même si je ne suis qu’un modeste maillon de la chaîne dirigeante. Fierté également de montrer que la France, qui est un pays critiqué de l’intérieur, est capable de choses extraordinaires. Si Versailles est né de la volonté de Louis XIV, il a été construit par des architectes, des artisans, et décoré par des artistes. C’est un hommage que je rends à ces corps de métiers. Tous ces hommes ont accompli un travail considérable et admirable à la sueur de leur front. Derrière chaque réalisation, chaque édifice grandiose, se cache une part d’ombre. Louis XIV fut un grand roi, mais aussi un dictateur. Louis XV fut un roi libertin qui aimait les très jeunes filles. Le seul qui trouve grâce à mes yeux est Louis XVI et ils l’ont guillotiné…

 • Règne-t-il une ambiance particulière à Versailles ? 

Oui. Autrefois, je parlais du « complexe versaillais ». C’était une sorte de prétention qui faisait que les gens qui travaillaient à Versailles pensaient se trouver dans le centre du monde. Heureusement, cette maladie est en cours de guérison. Les personnes qui sont à mes côtés ou dans les autres services ont conscience de la chance qu’elles ont. Elles sont heureuses d’appartenir à une belle maison et fières d’y travailler, mais elles savent que Versailles est la propriété de tous les Français.

•  Vous n’êtes pas seulement jardinier. Vous avez publié de nombreux livres ? 

Je publie beaucoup en effet. Il n’y a rien de plus beau que d’écrire. Quand j’aurai quitté Versailles, il ne restera rien de moi sinon mes ouvrages. Le livre est un témoignage.

• Quels sont les thèmes que vous aimez traiter ? 

La nature, les arbres, l’écologie au sens exact du terme. Je n’aime pas parler de l’écologie de manière intégriste ou politique, mais avec clarté et logique. Exemple : aujourd’hui on parle de croissance, de trouver de nouvelles sources énergétiques. On pourrait peut-être commencer par réduire les gaspillages…

• Participerez-vous au prochain grand Sommet sur le climat à Paris en 2015 ? 

Lors du Sommet de Kyoto, il y a plus de 20 ans, Jacques Chirac avait annoncé qu’il y avait le feu. Aujourd’hui, il y a toujours le feu, mais personne n’appelle les pompiers. Qui verra-t-on à Paris ? D'éminents responsables vont venir parader et dire des banalités alors qu’il suffirait de prendre des mesures simples et concrètes. Prenez par exemple les emballages : 40% d’entre eux servent à emballer… les emballages. 40% des contenants que nous achetons contiennent du vide. Cherchez l’erreur.
Aujourd’hui, la législation est trop compliquée et les études devraient être conduites par des gens qui connaissent bien ces sujets, et non par des énarques. Quand je demande « pourquoi les plus vieux arbres ne sont-ils pas classés au même titre que les monuments historiques ? », on me répond que ce n’est pas possible « parce que sont des arbres et qu’ils disparaîtront un jour comme toute espèce vivante ». Actuellement, les arbres ne sont pas classés du tout et aucune loi ne les protège. Il faut faire preuve d’esprit concret et d’honnêteté. L’arbre le plus vieux de France est à Pessines, près de Saintes. Il a 2000 ans. Je ne connais pas beaucoup de monuments qui peuvent se vanter d’avoir 20 siècles ! Je l’ai vu ce chêne, il est extraordinaire. Quand on le touche, on éprouve de l’émotion.

•  Etes-vous inquiet quant aux effets du réchauffement climatique ? 

 Je ne suis pas inquiet parce que je crois en l’intelligence supérieure du peuple, pas en celle de la classe dirigeante. A un moment donné, la situation va devenir si préoccupante qu’il faudra prendre les mesures qui s’imposent. Une civilisation, c’est comme un gamin : tant qu’il ne s’est pas brûlé les doigts, il est tenté de mettre la main sur le feu…

Propos recueillis par Nicole Bertin

Outre les jardins, Alain Baraton a une autre passion, la photographie. 

• Alain Baraton est le jardinier en chef du domaine national de Trianon et du Grand parc du château de Versailles. Il est correspondant national de l’Académie d’Agriculture de France. Il tient une chronique hebdomadaire sur France Inter (le samedi et le dimanche matin de 7 h 30 à 8 h). Le vendredi, on le retrouve sur France 5 de 12 h à 13 h 30.

• Conférence au château de la Roche-Courbon, 
propriété de M. et Mme Sebert, 
à l'invitation de l'association des Amis Rochefortais 
du Grand Siècle que préside Jacqueline Bobo.

Jacqueline Bobo et Alain Baraton
 


Le verre de l'amitié, après la conférence
Rencontre avec l'ancien député et sénateur de Charente-Maritime, Jean-Guy Branger surnommé "Le Clark Gable des Marais". Il n'a pas changé ! (photos N. Bertin)
• Quelques-uns des livres d'Alain Baraton : Le jardinier de Versailles (Grasset, 2006) ; L’homme à la main verte : mes chroniques à France Inter (Éditions du Rouergue, 2006) ; Le jardin de Versailles vu par Alain Baraton (Hugo Images, 2007) ; Le savoir tout faire du bon jardinier (Flammarion, 2008) ; L’amour à Versailles (Grasset, 2009) ; Je plante donc je suis : chroniques bucoliques (Grasset, 2010) ; Vice et Versailles : crimes, trahisons et autres empoisonnements au palais du Roi-Soleil (Grasset, 2011) ; La haine de l'arbre (Actes Sud, 2013).

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