mardi 27 janvier 2015

Comment rester Charlie
dans un monde où les fanatismes religieux
semblent incontrôlables ?
Les Saintongeais témoignent

Après les attentats de Charlie hebdo et de l'épicerie cacher qui ont fait 17 morts, la France est sous le choc et se pose aujourd'hui, pour le gouvernement en particulier, la question des mesures à prendre pour faire face à l'intégrisme religieux. Nous avons été nombreux à nous rassembler dans la rue pour rendre hommage aux disparus et défendre la liberté d'expression. Cette belle unité qui, espérons-le, durera plus longtemps que l'espace d'un matin, apparaît dans les témoignages publiés ci-dessous, ainsi que des interrogations sur l'avenir... 

 • Béatrice, psychologue

Ce qui domine, depuis les attentats, c’est le sentiment de vivre des événements historiques d’une rare gravité. Il y a d’abord eu la consternation, la stupeur. Ces images terrifiantes qui reviennent en boucle sur les écrans. Une sorte d'excitation anxieuse aussi de suivre tout en direct. A un moment je me suis dite « arrête de regarder, c'est une fascination malsaine ». Impression d'être en guerre contre des fous et encore, ce n'est pas gentil pour les fous ! On a vraiment ressenti l'effroi chez tous et les rassemblements dans toute la France le confirment. On est triste de penser qu'il faut de tels carnages pour rassembler enfin une classe politique en déroute…

Dessin de Florent Poussard
• Claude, médecin 

Les manifestations d’hommage aux 17 victimes du terrorisme se sont déroulées partout en France dans le cadre d’une dignité impressionnante. Cette attitude a réuni des femmes, des hommes et des enfants de toutes origines, de toutes religions ou sans religion et de toutes sensibilités politiques. Les parlementaires semblent prêts à se rapprocher pour voter des textes afin d’assurer la sécurité que tous les citoyens sont en droit d’exiger. Il faut les mettre en application rapidement avant que les inévitables conflits pré-électoraux ne reprennent. Mais parallèlement à la maîtrise de la sécurité, il existe un sujet que je crois obligatoire d’évoquer, le risque pour certains enfants même très jeunes de s’égarer dans des attitudes particulièrement dangereuses. Nous connaissons mal une jeunesse qui évolue très vite. Essayons de la comprendre, écoutons-la, apprenons à lui parler et mettons à sa disposition les outils nécessaires pour le dialogue. Créons un modèle d’éducation citoyenne condamnant les fondamentalismes religieux et politiques en expliquant pourquoi c’est inacceptable dans une nation qui s’est dotée de principes républicains. Il faut le dire et le redire. Donnons la possibilité à ces enfants, tout au long de leurs études, de participer avec eux à la préparation de leur avenir, en évitant de reproduire les modèles précédents. Recherchons ensemble les moyens d’assurer la paix et la solidarité. Utopique? Non, incontournable si on veut que le monde continue à être vivable.


• Katia, enseignante 

Que de fierté devant cette intelligence collective venue crier au, avec et dans le monde, son refus de la haine, son unité dans la diversité ! Que de fierté encore de voir une telle mobilisation pour mettre la France, notre France en avant, la France qu'on aime parce qu'ouverte, parce que défendant ses idéaux de liberté, de laïcité, de mixité, de fraternité qui fondent notre République ! De la fierté, mais aussi de l'émotion, beaucoup d'émotion, de voir défiler côte à côte des gens si différents mais si forts, si dignes, tous unis, tous citoyens, tous Charlie !


• Christian, militaire retraité 

L'action terroriste - je ne parle pas de celle, car c'en est une autre, relative au cartel de la drogue en Amérique du Sud - a connu une recrudescence depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale avec la création d'Israël et le partage de la Palestine. Le phénomène religieux, vieux de vingt siècles entre les nations du Moyen Orient, a cristallisé tout cela. Les acteurs "terroristes" sont généralement connus et vite identifiés. Pour un spécialiste de la matière comme je le fus, parler d'action terroriste est aussi banal que pour un médecin légiste de découper des cadavres.
 Surveiller et contrôler une salle de jeux telle que celle de Divonne-les-Bains dans les années 80, remplie de 1200 clients comme Shapour Bakhtiar ou Afes El Assad et 220 employés de jeux, fait vite monter l'adrénaline lors d'un coup de téléphone anonyme.
Un routier qui percute dix voitures sur une autoroute par temps de brouillard faisant 20 morts est un terroriste de la route. Il y a 50 ans, on dénombrait 18.000 tués sur les routes et aujourd'hui 4000 ou 5000. Un car dans un ravin faisant 20 morts, on en parle une heure et on passe à autre chose. Banalisation de l'événement.
La différence dans le traitement de l’information, c'est la médiatisation, la caméra, le journaliste, la prise de vue en direct d'un évènement aussi spectaculaire que pouvaient l'être les reportages en direct du Dakar en 1980. La différence entre ces évènements, c'est la fièvre, l'excitation, le stress que créent les uns et pas les autres.
L'action terroriste connaîtra encore des heures de gloire sous nos latitudes. Il faudra que nos enfants, faute d'avoir traité le mal à la racine (études géopolitiques, radicalisation des lois, hommes politiques prosélytes, frileux, démagogiques, opportunistes, impérialistes, bref...), apprennent à vivre avec. Nos parents ont connu leur guerre, ils connaîtront la leur sauf que ce ne sera plus la même ! Ils s'adapteront, c'est le propre de l'homme.

• Jo, coordonatrice d’expositions 

Après beaucoup d’hésitation, d’humilité, je vais essayer de résumer mon sentiment, car il n'y a pas une vérité, mais des vérités, d’où la difficulté de solutions. Ce sont toujours les innocents qui paient le plus lourd tribut. Ce n’est que répétition depuis que le monde est monde. C'était inéluctable et je suis même étonnée que cela arrive maintenant. La Terre est dans un bouleversement humain, planétaire. Une impression de fin de société. Nous avons fabriqué ces bombes humaines. Colonialisme, esclavage, déportation des peuples. Cette génération de personnes déplacées a été coupée de ses racines, de sa façon de vivre. Nous avons engendré des peurs. Dès lors perdus, en quête d'identité, de valeurs fortes, ces fils de déracinés ne sont pas difficiles à convaincre, même si ces idéaux ne sont faits que de haine et de violence. Il y a du sang sur la Terre. Que faire ? Trop d'informations négatives tuent la réflexion et engendrent la peur avec un grand P. Nous sommes en réaction d'émotion et non de réflexion, parce qu’acculés. Nous sommes allés trop loin. Une phrase de Paulo Coelho dans son livre "Le Zahir" me vient à l’esprit : « L'histoire changera quand nous pourrons utiliser l'énergie de l'amour comme nous utilisons l'énergie du vent, des marées, de l'atome ». Nous sommes un grand tout, particules de vie sur terre...


• Françoise, présidente de festival artistique et littéraire 

Il y eut d’abord un inimaginable massacre ! Des journalistes sont abattus à bout portant. Ces hommes et femmes savaient, avec leurs dessins désopilants, rire et faire rire. Mais le rire est l’ennemi de tous les totalitarismes et de tous ceux dont le cerveau est submergé par l’endoctrinement. Presqu’en même temps, un homme seul prenait en otage des adultes et des jeunes enfants sous le seul prétexte qu’ils étaient Juifs ! Quatre d’entre eux sont morts. Il y eut ensuite une traque, qu’aucun film de cinéma ne pouvait égaler, avec des policiers hors normes, par leur courage et leur technicité, face à des jeunes passés hors du champ de l’humanité. Ils voulaient mourir en martyre, espérant ainsi la reconnaissance d’un Dieu tragique. Ces forces de l’ordre républicain ont aussi perdu des leurs durant ces évènements. Tout à chacun avait le droit d’être terrorisé, de rester calfeutré, de se répandre avec de fumeux et dangereux amalgames.
Pourtant, cette France, baignée dans un pessimisme chronique, doutant de ses valeurs et de ses richesses, a réagi d’exceptionnelle manière. J’ai été émue aux larmes par ces millions de Français qui ont dit non et qui ont placé la fraternité au cœur de leur vie. J’ai vu la reconnaissance mondiale des valeurs de la France. J’ai reçu comme un cadeau les citations des textes de Voltaire et d’Apollinaire. En ce dimanche 11 janvier 2015, l’intelligence était partout, la laïcité triomphait. Je suis fière d’être française !


• Marie, responsable d‘une boutique de prêt-à-porter 

Je suis effarée par la violence de ces assassinats et bouleversée par les témoignages recueillis. La communion de tous ces gens réunis autour de ce drame est d’une grande beauté et m’a profondément émue.

• Jean-Paul, ingénieur retraité 

Les historiens nous l'avaient rappelé, les années «en 15» ont très souvent marqué l'histoire. En sera-t-il de même pour ce 11 janvier 2015 ? Ce magnifique élan mondial de fraternité, de tolérance, cette soif universelle de démocratie vraie, de liberté d'expression, de liberté tout court, ce grand mouvement citoyen planétaire infléchira-t-il durablement le cours de l'histoire humaine ? Verrons-nous enfin triompher la victoire sur l'obscurantisme meurtrier, le fanatisme borné, l'intolérance inculte, le racisme crétin et autres plaies et tares éternelles qui ont toujours entretenu le malheur de l'humanité ? L'Homme, illuminé par la Raison deviendra-t-il enfin cet «Homo Sapiens Sapiens» qu'il prétend être ? La distance est encore trop courte pour en juger. Mais, dès à présent, ne pas répondre à ce questionnement, n'est-ce point y répondre ?

• Catherine, fonctionnaire 

Depuis quelques jours, je suis moi aussi complètement atterrée par l'horreur de ces deux attentats presque concomitants ; J’ai eu beaucoup de mal à m'éloigner des medias qui ont relayé 24 h/24 ces terribles nouvelles, tellement énormes par leur atrocité, ces images de guerre, comme si inconsciemment j'attendais une annonce indiquant que tout cela n'était qu'une énorme blague. Je me sens encore plus inquiète avec nos trois petits enfants juifs qui n'ont rien demandé à personne... Le danger vient du sectarisme religieux, quelle que soit la religion ; on se croirait revenu aux guerres de religion du christianisme du XVIe siècle alors qu'on est au XXIe siècle. C'est terrible, on n'a pas évolué, on a même régressé.
La marée humaine dans les rues de France pour manifester son soutien à la liberté d'expression, à la préservation de la République, au refus de l'obscurantisme, c'était magnifique, extraordinaire ; cette communion de gens de tous âges, de toutes couleurs politiques, de toutes conditions sociales, pour une fois unis pour une idée, et non pas contre quelque chose, c'était formidable, très émouvant, très fort. La présence de dirigeants du monde entier aux côtés du Président de la République rendait encore plus puissante cette image, même si parmi eux se trouvaient des dictateurs réprimant très durement les journalistes dans leur pays... Les vieux anars, anti militaristes, anti système, anti tout, de Charlie Hebdo ont dû bien rigoler de tout cela, surtout quand les manifestants acclamaient les forces de l'ordre.
Mais hélàs, dés aujourd'hui, on en revient à la dure réalité : nos démocraties sont touchées par l'islamisme radical, dont la menace existe partout, sans qu'on sache jamais où elle va frapper, comment, et quand ; c'est là qu'est sa force, semer la terreur partout, en s'appuyant sur des petites têtes, des pieds nickelés, suffisamment idiots (ils ne savaient pas où exactement se trouvait Charlie et laissaient traîner leurs cartes d'identité...) et non éduqués pour être mieux endoctrinés et subir du bourrage de crâne.
La réponse à tout cela, ça risque malheureusement d'être la montée du racisme, et du Front national, tout signe extérieur musulman risquant d'être pris aveuglément pour cible. Les grandes failles de notre système éducatif apparaissent car tous ces jeunes partant pour le djihad sont quasiment illettrés, exclus du système, et deviennent des délinquants. L'éducation est la base de la lutte contre le fanatisme et pour la liberté. Il va falloir accepter des atteintes à notre liberté pour pouvoir être mieux protégés ; on ne peut pas en même temps crier au scandale face aux caméras dans les villes, au contrôle dans les aéroports, au fichage de nos données... et réclamer plus de sécurité partout, même si on ne pourra jamais empêcher qu'il y ait d'autres attentats encore plus meurtriers. Il faut essayer de vivre comme avant, de ne pas céder à la panique, ni à la terreur car ça ferait bien trop plaisir à ces fous de Dieu, mais voilà, rien ne sera plus comme avant...


•  Rémi, animateur culturel et sportif 

Ayant un intérêt personnel dans le fonctionnement des forces de l'ordre, j'ai suivi le travail du GIGN et du RAID ainsi que les autres unités jusqu'au dénouement. Derrière l'attaque du Charlie Hebdo, les terroristes ont attaqué un symbole de la démocratie et l'élan de solidarité via les manifestations et la réaction en grande partie des acteurs de la scène politique française alimente ma fierté d'être français. En revanche, je reste déçu des médias qui ne communiquent pas à égalité sur les personnes victimes des attentats. Faisant preuve d'empathie, je suis autant Frédéric que Policier ou Charlie. Face à la détresse des familles, je pense naïvement que chaque victime a droit au même moment de reconnaissance, qu'elle soit policier, gendarme, agent de maintenance, journaliste, dessinateur reconnu...
De la naïveté, je pense au contraire qu'il faut arrêter d'en faire preuve en soutenant nos forces de l'ordre et notre armée qui, chaque jour, travaille à combattre le terrorisme pour nous protéger et conserver notre mode de vie. Pour finir, il reste un gros travail d'éducation à réaliser pour éviter les amalgames et proposer un avenir aux jeunes qui ne croient plus en l'avenir et finissent par se rattacher à n'importe quelle groupe sectaire.
En tant que humble citoyen français, j'aimerais dédier ce petit mot à Frédéric Boisseau, première victime des attentats visant le journal Charlie hebdo.


• Manuel, commercial 

 Charlie et son drôle de drame… Folie humaine, barbarie religieuse, attentat meurtrier, mort de la liberté. Des mots juste posés les uns à côté des autres pour désigner cette tragédie. Trois êtres humains qui en tuent dix sept et en font déplacer des millions, juste des actes qui s’enchaînent les uns à la suite des autres.Tout cela pour revendiquer la folie religieuse...
Une marche silencieuse, des chefs d’états qui se réunissent, le tout pour finir par une cérémonie dans une synagogue. Au même moment, au Nigeria, une fillette de 10 ans se fait exploser : 19 morts et rien. Pas de marche, pas de chefs d’états, le vide. Je suis un être libre dans un pays qui ne comprend rien à la liberté, dirigé par quelqu‘un qui profite d’un acte de barbarie pour remonter sa cote de popularité alors qu’il laisse des gens mourir de froid durant l’hiver. Il me semble que la détresse d’autrui est utilisée à des fins bien peu louables. Aux familles Kouachi et Coulibaly, je présente toutes mes condoléances : vous n’êtes que des parents qui ont perdu des fils : une pensée doit vous être adressée ; vous n’êtes pas responsables du destin qu’ont choisi vos fils. Non, je ne suis ni journaliste, ni policier, ni Charlie : juste un être humain qui essaie d’être équitable.


• Armelle, correspondante de presse 

Je suis très peinée par ce qui vient de se produire pour plusieurs raisons. La première : le symbole attaqué par cet acte sans nom… la liberté d’expression. Attenter à la vie d’autrui simplement parce que cette personne a usé de son droit de liberté de parole est un acte abject et gratuit. La seconde : les personnalités disparues ont toujours fait partie de mon environnement, que ce soit Cabu, Charb ou Wolinski entre autres. Leurs dessins satiriques étaient une petite bulle de vérité et l’expression de ce que pensaient beaucoup de gens sans jamais oser le dire. Leur univers était unique. Je pense aussi bien évidemment à tous les autres, anonymes, qui ont été tués lors de ces attentats. Mais, même si je me sens Charlie pour ces raisons, je suis dépitée par les diverses récupérations politiques qui ont été faites lors de ces attentats. Il me semble que le seul combat à mener reste la liberté d’expression et rien que cela. Trop de blablas inutiles, trop de medias qui parlent pour, finalement, ne rien dire si ce n’est entretenir un climat malsain. Je ne suis pas sûre que les personnes disparues apprécient, de là où elles sont, ce qu’elles voient ou entendent…
La population s’est mobilisée pour défendre les droits de la République et dénoncer des actes sans nom, c’est bien. Mais est-elle prête à en faire autant pour défendre les droits des sans-abris par exemple ? Pourtant, il me semble que ce combat est tout aussi important pour défendre l’un des fondamentaux de la République. Oui, je suis Charlie, mais pour la libre expression et pour dénoncer un acte barbare et gratuit, sans aucune autre pensée que celles-ci…


• Jacques, cadre retraité 

 Je suis athée (et d’esprit laïque). Je n’aimais pas Charlie Hebdo. Je me découvre en entrant dans une église car je respecte la croyance des autres bien que ne pouvant pas la comprendre. Je hais les fanatismes. Je trouve horrible que l’on puisse tuer autrui pour l’empêcher de manifester son opinion. Je suis profondément attaché à l’idéal républicain et à la liberté d’expression. Je suis, de ce fait, très affecté de la disparition d’hommes de qualité, même si leurs opinions et leurs manières d’être n’étaient pas les miennes.
Reste le futur. Ces trois attentats rappellent, ce que tout le monde sait, que des armes circulent dans tout le pays, détenues par de simples voyous ou par des ennemis de la République dans des zones de non-droit, situation qui ne peut aller qu’en s’aggravant. La réaction (saine) du Gouvernement est de nous défendre préventivement contre d’autres attentats. C’est utile et c’est bien le moins. L’analyse voudrait que l’on passe de la défensive à l’offensive. Quand et comment ? Nous n’en savons pas assez pour émettre une opinion …

• Tous les dessins qui accompagnent les commentaires sont présentés au Cloître des Carmes de Jonzac jusqu'au 9 février à l'initiative de l'association Humour et Vigne. Exposition ouverte l'après-midi, entrée libre.

Comme le dit très bien la légende, en France, il y a des sujets que les patrons de presse préfèrent éviter s'ils veulent que leurs journaux paraissent. Ainsi le syndicat CGT du livre...

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