mardi 10 mars 2015

René Caillié,
ce formidable explorateur fut
le premier Européen
à sortir vivant de Tombouctou...

C’est un Charentais-Maritime (alors Charente-Inférieure) qui a été l'un des premiers Européens à entrer dans Tombouctou, ville mythique du Mali, mais surtout à en sortir vivant. Au péril de sa vie, il a traversé le désert et la Méditerranée pour rejoindre la France et apporter son témoignage devant les membres de la Société de Géographie. Vendredi 13 mars au restaurant les Toits de Saintes, Alain Quella-Villéger, universitaire et membre de l’Académie de Saintonge, contera la vie étonnante de René Caillié… 

Alors que le Président de la République, François Hollande, a été accueilli comme « un sauveur » par les habitants de Tombouctou, évoquer la mémoire de René Caillié est un retour aux sources ! Et pour cause, il est originaire de Charente-Maritime. Alain Quella-Villéger lui a consacré deux ouvrages. L’universitaire a délaissé l’exubérant Pierre Loti pour s’intéresser à cet homme simple et discret, extraordinairement volontaire, que Jules Verne a qualifié de « plus intrépide voyageur des temps modernes ».
 En fait, rien ne prédestinait René Caillié à entrer dans le livre des records. Son histoire est particulièrement attachante parce qu’elle est exemplaire. Sa réussite, René Caillié ne la doit qu’à sa volonté, sa force de conviction et à ses qualités d’adaptation.


Un père bagnard : quelle galère… 

Il naît en 1799 à Mauzé sur le Mignon dans un milieu modeste. Accusé de vol, son père boulanger est condamné au bagne de Rochefort (à la suite d’un jugement bâclé). René Caillié a sept ans quand il meurt et 11 ans quand sa mère est mise en terre. Longtemps, il cachera ses origines et dira qu’il est orphelin. Il changera également plusieurs fois l’orthographe de son nom de famille qui oscillera en Caillié et Caillé.
Dans ce contexte difficile, une chose semble évidente : l’adolescent veut écrire sa propre histoire et se débarrasser des fers qui ont enchaîné le créateur de ses jours.
 Il quitte Mauzé à l’âge de 16 ans. « Ce n’est pas par hasard. Sur la route des diligences La Rochelle-Paris, Mauzé est proche des ports ». Il n’a pas un sou. Après avoir appris le métier de cordonnier, il préfère prendre la mer.
En 1816, il embarque sur le « Loire » où il est domestique. Cette frégate fait partie d’une expédition qui part pour le Sénégal reprendre le comptoir de Saint-Louis. La Méduse, qui connaîtra un destin funeste sur le banc d’Arguin, en fait partie. Fort heureusement, René Caillié n’est pas à son bord et il découvre l’Afrique. Il y fait ses premières rencontres : « j’ai la conviction qu’il était brillant. Son intelligence était supérieure à la moyenne. Il était observateur et apprenait les langues avec une grande facilité » estime Alain Quella-Villéger. La navigation lui plaît et il se rend aux Antilles. Durant une période, il se livre au commerce avec une maison spécialisée dans l’import/export. De son passage à Lorient, on sait bien peu de choses : « il y a un grand blanc que ne comblent pas les archives, détruites durant la Seconde Guerre mondiale ».

En 1824, endurci, il repart pour la troisième fois en Afrique. A-t-il un projet d’exploration ? On l’ignore car il existe peu de témoignages à son sujet. Pour se faire accepter dans cette partie du monde, il est conscient que la religion est importante. Il fait alors un stage d’apprentissage du Coran au sud de la Mauritanie. Il en profite pour aller à la rencontre des peuples qu’il croise sur son chemin. Personne ne le juge. Il est anonyme, presque transparent et cette situation lui convient…

Une récompense de 10 000  francs or 

Pourquoi reste-t-il au Sénégal ? En 1825, il apprend que l’éminente Société de Géographie offre la somme de 10 000 francs or au premier Européen qui entrera dans Tombouctou, interdite aux chrétiens. En effet, cette ville du désert apparaît comme un Eldorado aux yeux des Occidentaux qui voudraient bien commercer avec elle.

Au XIXe siècle, la richesse passée de Tombouctou fait encore rêver les Occidentaux
Les objectifs poursuivis à cette époque n’ont pas réellement changé. De nos jours, le sous-sol du Mali, riche en pétrole, gaz, or et uranium, intéresse fort Français et Anglais ! René Caillié veut relever le défi. En effet, du XIIIe au XVIe siècles, Tombouctou était la ville des échanges commerciaux et le point stratégique par lequel transitaient les caravanes. Mieux, la vie intellectuelle y était remarquable, réunissant de nombreux savants venus de tout le Maghreb et d’Espagne. Des échanges avaient lieu avec les grandes universités étrangères, Le Caire ou Damas. À une époque, on comptait près de 20 000 étudiants pour une population de 80 000 habitants, dit-on ! Les manuscrits s’y comptaient par milliers (ceux que les phalanges islamistes ont voulu détruire récemment).


René Caillié n’ignore pas l’aura qui entoure la cité des sables : il l’imagine prospère. Il n’est pas le seul à vouloir tenter sa chance. Les Britanniques sont sur les rangs et se transforment en chasseurs de prime. « L’argent n’est pas le motif premier que poursuit Caillié » estime Alain Quella-Villéger. Il s’agit d’une sorte de "challenge".
 Pour s’y rendre, il a besoin d‘argent. Il contacte des responsables français qui l’éconduisent. Pourquoi l’aideraient-il ? Il s’adresse alors aux Anglais en Sierra Leone. Ceux-ci se montrent plus compréhensifs. Quand il se sent prêt, il lève le camp en 1827 et organise son voyage au fur et à mesure.
Le meilleur moyen pour se déplacer est de se joindre aux caravanes. Il raconte « qu’il a été enlevé par les troupes de Napoléon en Égypte, qu’il a vécu en France pour revenir en Afrique avec un marchand. Il veut retourner où il vivait enfant ». Et il ajoute qu’il est un bon musulman.
Son périple dure un an jusqu’en 1828. Parti de Boké en Guinée, il passe par la Côte d’Ivoire avant d’atteindre Tombouctou où il entre vêtu en mendiant. Pour lui, c’est la déception. La ville tombe en ruine et n’a rien à voir avec la fameuse perle du désert. Il apprend que l’Anglais Gordon Laing l’y a précédé, peu de temps avant d’être assassiné.
Conscient des dangers qui le guettent, René Caillié ne s’attarde pas à Tombouctou et repart avec une grande caravane de sel : « il prend le taxi qui passe en quelque sorte. Il doit maintenant revenir en France »… 


Reconnu par les Français, contesté par les Anglais 

La traversée Sud/Nord du désert est très éprouvante. De plus, pour être crédible, il doit s’adapter en fonction des circonstances. Tant mieux pour lui, il est ‘‘caméléon’’! À l’ambassade de France à Tanger, il entre en contact avec Jacques-Denis Delaporte. Le diplomate, homme perspicace et cultivé, réfléchit à la manière de l’exfiltrer.
Déguisé en imam algérien, René Caillié finit par rejoindre Toulon où il subit la quarantaine. Désormais, il n’a qu’un but : se rendre à Paris auprès de la Société de Géographie. Reprenant son identité, il sait que la partie sera difficile. Il n’est pas scientifique, n’a aucune relation et son milieu social ne plaide pas en sa faveur.
Les documents dont il dispose sont rares : en effet, il ne devait pas attirer l’attention sous peine d’être traité d’espion. Certains responsables lui font confiance. Le président Jomard, égyptologue renommé, croit en lui. René Caillié est invité à décrire son périple devant un jury d’experts. La présentation de Tombouctou déçoit l’assemblée. « Caillié se bat pour convaincre son auditoire même s'il casse la machine à rêves. Il a rapporté de nombreuses informations sur les ethnies, la végétation, les langues, les itinéraires à emprunter. Il a fait des croquis, dont celui de la ville et la maison dans laquelle il était hébergé à Tombouctou. Il est également soucieux de la condition des femmes. Dans son ouvrage, il ne parle pas d’Afrique, mais des Afriques » déclare Alain Quella-Villéger. Bien sûr, les Anglais sont furieux qu’on leur ait coupé l’herbe sous le pied. N’oublions pas qu’ils ont aidé Caillié en Sierra Leone ! Ils tentent de discréditer l’explorateur français qui se défend ardemment contre leurs attaques.
En 1830, il publie enfin le Journal d’un voyage à Tombouctou et à Djenné, dans l’Afrique centrale, précédé d’observations faites chez les Maures Braknas, les Nalous et autres peuples pendant les années 1824, 1825, 1826, 1827, 1828. Le concours d’Edme François Jomard lui assure une grande renommée.
La voilà sa revanche sur la vie, cette aventure courageuse, cette entrée dans la cour des grands. Il n’est plus « le pauvre drôle de Mauzé, fils de bagnard », mais un homme qui a réussi là où tant d’autres ont échoué…
 En 1832, René Caillié quitte Paris pour Beurlay, en Charente Inférieure, où il achète une grande demeure entourée de terres. En 1836, il s’installe avec sa femme et ses enfants à Champagne (l’actuelle Gripperie Saint-Symphorien). « Ce choix peut surprendre en ce sens où la propriété se trouve au milieu des marais. Caillié n’était pas en excellente santé, il aurait pu choisir un autre lieu » estime Alain Quella-Villéger. Il devient maire de la commune avant de démissionner.

Sa vie s’arrête en 1838, à l’âge de 39 ans. Il est inhumé à Pont l’Abbé d’Arnoult. « Il rêvait de retourner en Afrique. Ce n‘était plus possible dans les conditions qu’il avait connues précédemment ». Ainsi disparut, un peu tristement, celui dont le nom est associé pour toujours à la cité aux 333 saints.

Félix Dubois, grand reporter et explorateur de Panama à Tamanrasset, a immortalisé Tombouctou après René Caillié... 
• Mauzé sur le Mignon, la ville natale de René Caillié, l’a tiré de l’oubli. Elle organise chaque année une grande fête en son honneur avec prix aux meilleurs récits de voyages et attribution d’une bourse de l’aventure. La ville de Saintes est également jumelée à Tombouctou.

 • Les impressions de René Caillié sur Tombouctou (extraits)

« Je m’étais fait de la grandeur et de la richesse de cette ville une tout autre idée : elle n’offre, au premier aspect, qu’un amas de maisons en terre, mal construites ; dans toutes les directions, on ne voit que des plaines immenses de sable mouvant, d’un blanc tirant sur le jaune, et de la plus grande aridité. La ville de Tombouctou forme une espèce de triangle ; les maisons sont grandes, peu élevées et n’ont qu’un rez-de-chaussée ; dans quelques-unes on a élevé un cabinet au-dessus de la porte d’entrée. Elles sont construites en briques de forme ronde, roulées dans les mains et séchées au soleil ; les murs ressemblent à la hauteur près à ceux de Djenné. Les rues de Tombouctou sont propres et assez larges pour y laisser passer trois cavaliers de front ; en dedans et en dehors, on voit beaucoup de cases en paille, de forme presque ronde, comme celles des Foulahs pasteurs ; elles servent de logement aux pauvres et aux esclaves qui vendent des marchandises pour le compte de leurs maîtres. Tombouctou renferme sept mosquées, dont deux grandes, qui sont surmontées chacune d’une tour en brique, dans laquelle on monte par un escalier intérieur. Cette ville mystérieuse qui, depuis des siècles, occupait les savants, et sur la population de laquelle on se formait des idées si exagérées, comme sur sa civilisation et son commerce avec tout l’intérieur du Soudan, est située dans une immense plaine de sable blanc et mouvant, sur lequel il ne croît que de frêles arbrisseaux rabougris ».



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