jeudi 30 avril 2015

AU XVIe siècle, le moulin à papier
de Moings était prospère !

Il y a lieu de penser que certains registres du XVIe siècle, conservés aux Archives de Mexico et de Lima en Amérique Latine, sont constitués de feuillets fabriqués par le moulin à papier de Moings, près de Jonzac. L’historien Marc Seguin nous fait découvrir une activité qui fit les beaux jours de la paroisse de Moings, celle du papier de bonne qualité qui s’exporta fort loin, semble-t-il. 
Aux commandes, les frères Arnault dont l’un portait le nom du saint patron de Jonzac Anthème.  

Marc Seguin, membre de l'Académie de Saintonge
Remontons le temps… En 1542, vivaient dans la paroisse de Moings (laquelle appartenait à la châtellenie d'Archiac), deux frères, Anthème et Bertrand Arnault, conjointement propriétaires d'un moulin à papier. Ces deux frères vendirent le 2 août 1542, au sieur Jean Boubet, marchand de Bordeaux, cinquante "charges" (de trente deux "rames" la charge) de papier, livrables dans un an.
Ce papier devait être fabriqué dans le moulin des frères Arnault. Il devait être pur, de gros bon, "bien collé" et "bien tiré" de manière à qu'il ne boive point : en tout point conforme à une feuille d'échantillon que les frères Arnault présentèrent à l'acquéreur et qu'ils authentifièrent en apposant leur signature (1).
Pour cette livraison, les fabricants devaient recevoir quatorze livres, huit sous tournois, pour une charge. Jean Boubet leur versait d'ailleurs à titre d'avance la somme de cent livres tournois (monnaie de compte) constituée de dix huit doubles ducats, six écus d'or et soixante deux sols tournois (espèces réelles). Tels sont les termes de l’acte passé devant Maître Degorces, notaire à Bordeaux.
 Conservé dans l'immense fonds des minutes de notaires bordelais que recèlent les archives départementales de la Gironde, ce curieux document a été découvert par Marc Seguin qui nous l'a généreusement communiqué. Curieux document, en effet puisqu'il nous révèle un fait qui était jusqu'aujourd'hui totalement inconnu : l'existence d’un moulin à papier saintongeais établi sur la Viveronne, à quelques dizaines de mètres de l’église et du logis de Moings.
Or, ce moulin à papier pourrait bien être le seul concurrent, de notre province, des nombreux petits moulins à papier qui s'étaient établis en Angoumois, sur les affluents de la Charente, dès le début du XVIe siècle. Il est même l'exact contemporain du moulin à papier qu'installa à Angoulême, en 1537, maître Thérot-Tixier qui se mit à fabriquer du papier fin dit « de l'Angoumois », apprécié par le chapitre de la cathédrale d'Angoulême qui en avait subventionné les premiers investissements.
Le marché mentionné dans l’acte notarié de 1542 est de 800.O00 feuilles, sans doute la totalité ou la quasi totalité d’une année de travail semble considérable pour ce qui était d'évidence un très modeste établissement industriel.

L'art de faire du papier
L'acquéreur est un marchand de Bordeaux. La livraison doit être faite le 2 août 1543 à Blaye « au logis où pend pour enseigne l'image Notre-Dame ». Il est plus que probable que le papier de Moings devait être transporté à Séville, vendu aux Espagnols, exporté vers l'Amérique Espagnole régie par une administration coloniale, grande dévoreuse de paperasses.
 Comme le mentionne Marc Seguin, on peut penser que nombre de registres du XVIe siècle qui reposent aujourd'hui sur les rayons des archives de Mexico et de Lima sont constitués de feuillets issus de la "peille" saintongeaise foulée dans les eaux de la Viveronne. Combien de temps le moulin à papier de Moings a-t-il fonctionné ? Ce qui paraît acquis, c'est qu'une "blanchisserie de toile" prit la suite du moulin à papier, peut-être au XVlle siècle, au XVIIIe siècle en tout cas.

En 1863 encore, on peut lire dans la statistique de la Charente Inférieure : « on trouve à Moings une blanchisserie de toile fort importante et bien dirigée ». Où se trouvaient le moulin, puis et la fabrique de toile? Au lieu dit "les Arnauds' qui existe encore et dont l'acte de 1542 révèle de façon incontestable l'origine. C'est le lieu où résidait la famille Arnaud où les frères Anthème et Bertrand vivaient au temps du roi François 1er.
 La plupart de microtoponymes de notre région perpétuent ainsi le nom des premiers occupants, constructeurs ou reconstructeurs, installés à la fin du XVème ou au cours de XVIème siècle en des lieux abandonné ou détruits au temps catastrophique de la longue guerre franco-anglaise. Le chez Piaud, chez Viaud, chez Soulard, chez Florençeau, chez Noël et d'innombrables autres, écarts et hameaux en chez datent de ce moment. On remarquera seulement que le lieu de résidence de la famille Arnault ou Arnaud (les deux orthographes coexistent dans notre acte notarié) ne comporte pas la préposition « chez » mais l'article "les" (2).
C'est qu'il y a, semble-t-il, une hiérarchie à établir dans la toponymie de l'âge de la reconstruction qui a suivi la guerre de cent ans. Chez indique la résidence d'un simple paysan ; les précède le nom d'une famille plus élevée dans l'échelle sociale : propriétaires aisés, industriels comme nos Arnault.
 Quand on entre à la Morinerie ou à la Pérauderie, on sait d'avance que le logis qui porte le nom dérivé de "Morin" ou de "Péraud" fut jadis habité par des notables.
Quant aux frères Anthème et Bertrand Arnault, nous pouvons tenir pour assuré qu'ils sont issus d’un famille déjà bien implantée dans le terroir jonzacais. Sinon, comment l'un des frères aurait-il pu être prénommé Anthème qui est, on le sait, le nom d'un Saint (qu'on peut sans se damner tenir pour hypothétique) dont la légende veut qu'il ait été enseveli dans l'église de Jonzac ?
 Il est probable qu'en 1542, on y vénérait encore ses reliques dont on ignore ce qu'elles sont devenues. Mais son culte a longtemps survécu, au point que le Chanoine Fouché, archiprêtre curé de Jonzac, tenta d'imposer aux parents de l’historien jonzacais Jean Glénisson (aujourd’hui disparu) le prénom d'Anthème au jour de son baptême ! Comment il y échoua n'a pas lieu de figurer dans cette rubrique du temps passé…

Au XVIe siècle, le moulin de Moings produisait du papier d'excellente qualité
Note (1) : La "rame" est constituée de 500 feuilles de papier. Une "charge" de 32 rames comprend donc 16000 feuilles. Le total du marché porte sur 800.000 feuilles. Le "gros bon" était une variété du papier fabriqué en Angoumois. L'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert note que « dans l'Angoumois, on fabrique de huit sortes de papiers différentes, qu'on nomme le papier fin, le royal, le grand compte, le moyen compte, le petit compte, le petit cornet, le cornet de la petite sorte et le gros bon ». Les papiers fabriqués en Auvergne et Limousin, en Normandie et dans le Vivarais portaient des dénominations différentes d'une province à l'autre, mais on trouve "le gros bon" (trois sous-variétés) en Normandie.

 Note (2) : L'orthographe actuelle est les Arnauds, au pluriel. Dans l'acte utilisé ici, le notaire écrit lui aussi Arnaultz ou Arnaudz. C'était l'usage. De même que Françoise épouse Moreau était désignée sous nom de Morelle.  


• Les moulins à papier se trouvaient à proximité des cours d'eau. Les roues à aube du moulin entraînaient une vis sans fin qui elle-même animait un mécanisme. Il permettait de déchiqueter les chiffons qui, mêlés à l'eau, servaient à la confection de la pâte à papier. Cette pâte arrivait dans une cuve (premier plan) où le papetier la recueillait à l'aide d'une forme. Un apprenti transportait les feuilles encore humides pour les amener au séchage.

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