lundi 20 novembre 2017

La période de l’Epuration à Jonzac en 1944/1945 : « listes de traîtres, femmes tondues, tortures dans les locaux de la Sagesse…

La période de l’Epuration, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, reste un sujet tabou. En choisissant d’éclairer ce moment particulier de la vie jonzacaise, James Pitaud a rempli deux missions d’historien : le devoir de mémoire et la communication de faits ignorés jusqu’alors. 
 
James Pitaud accueilli aux Archives de Jonzac
Il y avait salle comble jeudi dernier aux Archives de Jonzac. James Pitaud, ancien professeur et animateur du club histoire au collège, sourit : « on m’avait dit que le sujet n’était pas porteur. Le public présent preuve le contraire ! ». En effet, c’est la première fois que la période de l’Epuration est abordée officiellement. Avec des recommandations : pour accéder aux documents, le conférencier a obtenu une dérogation en s’engageant à ne pas porter atteinte à la réputation des familles. Dont acte.
Selon Charles de Gaulle, la France aurait compté 2% de collaborateurs et 2% de résistants durant la Seconde Guerre mondiale.

Jonzac libérée en septembre 1944

Photos d'archives : la libération de Jonzac en septembre 1944

Le 30 août 1944, après avoir libéré Barbezieux, les soldats de différents groupes composant la colonne « Soulé » apprennent que Jonzac est toujours défendue par les Allemands. Le 31 août, elle se met en position autour de la ville. La prise des carrières devient « l’objectif numéro un », mais devant Heurtebise se trouve un important réseau de barbelés et de mines. Quatre blockhaus armés de mitrailleuses en protègent les entrées. Le 1er septembre à 16 heures, le colonel Soulé propose une reddition pure et simple aux Allemands. Ils refusent. L’assaut est donné à 18 heures avec le renfort des résistants jonzacais placés sous l’autorité de l’adjudant de gendarmerie Georges Bernard. Un canon positionné par le « Groupe Pierre » sur les hauteurs du Cluzelet, à proximité du château d’eau, neutralise les nids de mitrailleuses qui interdisent l’entrée des carrières. Un groupe de « Corps Francs » du capitaine Murray y pénètre par la cheminée d’aération et prend l’ennemi à revers. Ce puits est toujours visible sur la route d’Ozillac à une centaine de mètres au-dessus de la résidence des Vignes.
Les soldats ennemis se rendent. Les résistants font 130 prisonniers dont 5 officiers. Parmi eux, se trouvent des « volontaires russes, géorgiens, ukrainiens » qui seront employés dès le lendemain au déminage du site. Le 3 septembre, une colonne allemande venue de Royan et forte de deux à trois cents hommes tente de reprendre Jonzac en arrivant par Archiac, Allas-Champagne et Meux. Des combats ont lieu vers la « Font de Pépignon » à proximité de l’ancienne gare de Champagnac. Les Allemands sont repoussés et repartent. Le résistant Henri Guillon est tué. Une stèle, souvenir de ces évènements tragiques, porte son nom.

Début septembre, Jonzac est donc définitivement libérée au prix de lourds sacrifices. Durant ces combats qui permettent la capture de 227 prisonniers allemands, on dénombre 16 victimes dans les rangs des FFI dont un jeune résistant espagnol Damaso Gomes venu se battre aux côtés des Français. Témoignage de l’histoire, l’actuelle avenue du Général de Gaulle s’appelait autrefois avenue du Maréchal Pétain.

Le marché noir et les bals clandestins pointés du doigt...
Dans la presse, une habitante d'Ozillac est remerciée pour avoir aidé des résistants
Après des années d’occupation allemande, l’histoire change de camp et l’entente devrait revenir peu à peu. Ce n’est malheureusement pas le cas : « le comité cantonal de la résistance excitait les tensions au lieu d’apaiser les âmes » dira le sous-préfet René Méon.  
« Le climat a été particulièrement tendu à Jonzac » précise James Pitaud qui en donne les raisons. En septembre 44, un comité de libération, qui a tous les pouvoirs, est créé : « Nous avons été 14 mois sans Etat ». C’est l’époque des règlements de compte, tantôt justifiés, tantôt à la tête du client avec pour perspective la Chambre civique, l’indignité nationale et la Cour de justice établie à Saintes.
A Jonzac, les nouveaux décideurs n’apprécient guère le RNP (Rassemblement National Populaire), proche de Pétain, qui compte 63 adhérents issus de tous les milieux. Ils en veulent aussi à LVF (Légion des volontaires français contre le bolchévisme), des Français s’étant engagés aux côtés des Allemands pour combattre les Russes. Tombés sur le front, ils ont laissé des orphelins recueillis au château de Nieul-le-Virouil par une association de charité, « Les amis de la LVF ». Les généreux donateurs seront poursuivis… Même ressentiment envers deux entrepreneurs qui, à leurs yeux, ont travaillé pour l’ennemi. A Jonzac, l’un a employé des jeunes gens qui seraient partis en Allemagne dans le cadre du STO. Parmi eux, Claude Gatineau (il sera exécuté par les Allemands pour avoir aidé Pierre Ruibet à faire exploser les carrières).

Nelson Fumeau parle des "Boches"...
René Gautret devient maire de Jonzac. Il le restera après la guerre.
James Pitaud fait ressurgir le poids du vécu. Les dénonciations, comme celle de Léopold Dussaigne, mort en déportation, ont frappé les esprits. Son agent de liaison est Nelson Fumeau dont le P.C se trouvait dans le marais de Saint-Bonnet. Il veut que justice soit rendue en mémoire de ces hommes lâchement livrés aux camps de concentration. Pour James Pitaud, Nelson Fumeau est « un prédicateur de la patrie » avec un mot à la bouche, « le châtiment ».

Comité de libération : établir des listes de traîtres et de suspects

Une fois les Allemands partis de Jonzac, le comité de libération dresse des listes et fait procéder à des arrestations. Les maquisards sortent de leur cachette. Avec des attitudes plus ou moins discutables. Les vrais d’un côté, les opportunistes de l’autre qui profitent de la situation. Ainsi, ils rackettent la région, volant ici un veau de 103 kg, là une voiture et des pneus, sans compter des interventions qui effraient les habitants (certains n’hésitent pas à porter plainte). « Ils ont une réputation mitigée. Les uns sont issus du cru, les autres viennent des Pyrénées. Si certains sont organisés, d’autres agissent selon leur bon vouloir » remarque James Pitaud. Ici, nous aurions eu à subir le maquis de la Bruyère, établi à Souméras et commandé par un dénommé Gendron.

Bref, Jonzac nomme un sous-préfet, René Méon et la presse « Le Courrier de Jonzac » est prudente : d’une part, elle encourage l’entente entre Français et Allemands ; d’autre part, elle pressent un souffle nouveau. On appelle ça le juste milieu ! Ce journal sera temporairement interdit pour laisser place au « Démocrate » entièrement dévoué à la cause de la libération.
Au travers de différents articles, James Pitaud évoque les conditions de vie. On demande aux commerces de ne pas vendre aux Bordelais venant s’approvisionner en Saintonge dans le cadre du marché noir (changement des horaires d’ouverture des magasins, personnes appréhendées avec des victuailles aux gares de Jonzac, Tugéras, Fontaines d’Ozillac) ; aux rouets de filer intensivement la laine et on délivre des bons de carbure.

Le Courrier de Jonzac est prudent dans ses publications
Le comité de libération se réunit pour la première fois le 13 septembre 1944. Le maire d’alors est René Gautret, le précédent conseil composé de Radicaux ayant été dissous. Le comité se compose de M. Pagès, président, M. Pelletan, vice-président, Mme Dussaigne, secrétaire, MM. Seguin, Hertzog, Grelety, etc. Leur tâche est d’établir des listes de traîtres et de suspects. Un comité d’épuration voit le jour le 22 septembre avec, entre autres, MM. Dubois, Baffou, Fumeau, Mouche, Mme Dussaigne. Il est censé fournir des renseignements au comité de libération. On imagine facilement le climat qui règne en ville.
En ligne de mire, ceux qui sont soupçonnés d’intelligence avec l’ennemi, autrement dit les collaborateurs, sans oublier les donateurs aux orphelins de la LVF, les membres du RNP, la Croix-Rouge locale, les personnes qui s’adonnent au marché noir et les femmes ayant eu des relations avec l’occupant. Lesquelles doivent être tondues en dehors de la scène publique. Ce ne sera pas le cas puisque les maquisards se mettront à l’œuvre devant la foule pour accomplir cette horrible besogne. Apparemment, ils se seraient montrés plus cléments pour les femmes de la « bonne société » que pour les filles du peuple…

Femmes tondues. Sans commentaires...

Jonzac traverse des heures sombres. Pour preuve, le comité de libération est lui-même troublé par l’arrivée inopinée de maquisards lors d’une réunion. La raison de leur intrusion ? Ils estiment que certains membres du comité sont douteux : qu’ont-ils fait pour la résistance et contre le pétainisme ? En réalité, ils recherchent un certain Lefèvre qui a été écarté de cette instance. Le comité est choqué par l’attitude des intervenants (La Bruyère vraisemblablement) armés jusqu’aux dents. Des hommes munis de fusils entourent le château de Jonzac ! Sympa, l’ambiance…

Quelques mois plus tard, pour grossir les listes, appel est carrément fait à la délation. Des prisonniers sont torturés dans les locaux de la Sagesse, actuels bâtiments de la Communauté de Communes de Haute-Saintonge : « aujourd’hui, on sait qu’un ancien milicien, le lieutenant Gaby, y a pratiqué le supplice de la baignoire ». Dans Jonzac, les maisons d’un entrepreneur et d’un juriste sont totalement pillées.

Un nombreux public

 Vient alors la publication des listes

Arrive le moment le plus délicat pour ceux qui ont quelque chose à se reprocher… ou sont victimes de jalousie, voire de représailles personnelles. La liste dressée par le comité est publiée une première fois dans le journal (Le Démocrate et Libération en Aunis et Saintonge), puis une seconde fois avec le nom des avocats mentionnés et enfin une troisième quand les jugements sont rendus. Une triple peine médiatique.
La personne frappée d’indignité nationale est privée de ses droits civiques : un véritable dégradation pour l’individu. A Saint-Thomas de Conac, une femme ayant dénoncé à la Gestapo six jeunes gens (dont l’un des survivants était M. Sermot) est condamnée à la peine de mort. A Saintes, l’ex-maire voit sa peine commuée en celle des travaux forcés à perpétuité. « Je comprends le ressentiment des hommes et des femmes qui ont vu leurs proches déportés, fusillés. A ma connaissance, il n’y a pas eu à Jonzac de collaborateurs ayant trahi des résistants. Les soupçons portaient surtout sur ceux qui parlaient allemand couramment. Parmi eux, un jeune galopin qui faisait peur à son entourage. Le comité a réussi à le faire condamner, mais il a été acquitté en appel. Cette décision a entraîné une manifestation place du château en mars 1945 pour mécontentement » remarque le conférencier.

Les personnes arrêtées par le comité d'épuration sont citées dans la presse
Une personne conteste appartenir au RNP. 
Le comité de libération l'admet, toujours dans le journal
Condamnations de la Chambre civique
Les donateurs aux orphelins de la LVF sont eux aussi mentionnés publiquement
Charles de Gaulle finit par mettre fin aux comités de libération en raison de leurs excès. Remerciés, ils sont furieux. Pour revenir à une vie normale entre citoyens, il n’avait pas d’autre choix.
De ces mois agités, on retiendra surtout deux procès dont celui de la Croix Rouge locale qui envoyait des colis aux prisonniers. Accusée de s’être servie au passage, elle est condamnée en correctionnel. S’y ajoute l’affaire de l’ancien sous-préfet Méon, viré parce qu’il n’était pas assez vindicatif dans la recherche des traîtres. Il parvient à prouver qu’un de ses détracteurs s’est livré au marché noir. L’affaire ne s’arrête pas là. Ancien de la Marine, il est nommé directeur du port de Saint-Nazaire. Cette nomination ne plait pas à Nelson Fumeau qui saisit le député. On ignore la fin du différend !
Les poursuites pour enrichissement personnel sont lourdes : fortes amendes assorties de la confiscation des biens (là encore avec publication dans le journal !).
La plupart des justiciables font appel et certains sont acquittés. Parmi eux, l’entrepreneur qui deviendra maire de Jonzac après avoir été malmené parce que trop proche des Allemands. Ces derniers lui servaient de couverture pour sauver des jeunes du Service du Travail obligatoire. Il était alors exécuté aux carrières d’Heurtebise de Jonzac, c’est-à-dire sur place, sans avoir à s’exiler outre Rhin…

Lettre du président du comité de libération, M. Pagès au sujet de René Méon. Le torchon brûle...
Travaux forcés à perpétuité pour un ancien élu saintais
Enfin une bonne nouvelle, le droit de vote des femmes !
Remercions James Pitaud pour cette conférence détaillée et de qualité suivie avec attention par le public.

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