vendredi 12 janvier 2018

Quand Sophie, artisan potier en Saintonge, rencontre Ahmed Attaher, orfèvre au Niger…

De quels projets parlent-ils ? De la préparation d’une collection, bien sûr, où les deux artistes conjugueront leurs talents respectifs. Artisan potier, Sophie Duvois créera les supports (vases, coupes, vasques) tandis que l’orfèvre nigérien les ornera d’argent ou de pierres semi-précieuses. Une alliance « séduisante » qui est le fruit du hasard, comme toutes les belles histoires…
 
Ahmed Attaher, Sophie Duvois et Jo Neuvy
Cette histoire met en scène deux personnes qui exercent des métiers différents, mais que réunit l’esprit artistique. Invité par Jo Neuvy à exposer en France, Ahmed Attaher est membre d'une grande famille d’orfèvres touaregs. Au Niger, il évolue dans les pas de son père et de son grand-père dont les œuvres figurent au quai Branly à Paris. Lui-même possède un atelier à Agadez.  Quand il le peut (les visas sont parfois difficiles à obtenir), il se rend en France pour présenter ses œuvres. Au domaine du Chapitre, à Arces-sur-Gironde, où nous l’avons rencontré la première fois, ses bijoux ont été remarqués. Joignant le geste à la parole, le public a découvert lors d'une démonstration comment une barrette d'argent peut se transformer en bracelet, bague ou collier ! L'assistance est généralement fascinée par ces opérations « digne d’un alchimiste » qui nécessitent expérience et précision.

Arces sur Gironde : démonstration devant le public
Sophie Duvois, quant à elle, a installé son atelier de poterie à Rouffignac, près de Montendre. En véritable passionnée, elle crée, invente et s’autorise quelques audaces. Souriante, elle explique sa démarche et montre les techniques aux curieux qui s’interrogent sur les secrets de fabrication. Accomplie ? Pas tout à fait… elle gardait en elle cette petite flamme qui ne demandait qu’à s’embraser. Sa rencontre avec Ahmed Attaher s’est déroulée aux halles de Montendre, au salon des artisans. Alors que cette manifestation allait fermer ses portes après les fêtes, eux, au contraire, ont ouvert une page d’écriture. Leur rapprochement s’est fait instinctivement. Ils ont longuement discuté et échafaudé des projets. « Si tu diffères de moi, mon frère, loin de me léser, tu m'enrichis » disait Saint-Exupéry.
Il n’existe pas de poterie ornementale au Niger où elle est destinée au cadre alimentaire. « J’ai été attiré par la forme de l’un des vases de Sophie. J’ai tout de suite pensé aux décorations qui pourraient le mettre en valeur » souligne Ahmed Attaher.

Partage franco-nigérien

Sophie à la foire aux potiers de Soubran
Sophie est enthousiasmée par ce partage artistique : « Ahmed devant rentrer dans son pays, nous allons travailler par internet. Je lui enverrai les croquis des modèles que nous choisirons ensemble. Une fois que la pièce sera définitive, je laisserai les emplacements pour qu’il puisse intervenir à son tour ». De cette union, naîtra une collection franco-nigérienne axée sur l’élégance et l’originalité puisque seront travaillées des matières nobles, la terre, l’argent, les pierres, l’ébène.
Cette terre, qui prend vie entre les mains de Sophie, sera ornée par Ahmed qui excelle dans les ciselures héritées de ses ancêtres. Par leurs dessins géométriques, ces gravures racontent la vie de ces hommes libres que sont les Touaregs, les dunes, le chemin des caravanes, les sources, le puits, le village et les étoiles indiquant les quatre points cardinaux, repères immuables dans le ciel du désert. On y trouve aussi des animaux, la trace du serpent dans le sable ou du mille-pattes qui symbolise le lieu où se trouve la vie, la tente, le dromadaire, le caméléon et le chacal qui représente à la fois l’intelligence et la joie : « Au Niger, les histoires qu’on raconte aux enfants ont souvent un rapport avec le chacal ! ». 

Chaque gravure a une signification
 Comme on le suppose aisément, Sophie a déjà la tête dans ses futures compositions. Un défi qu’elle entend relever, consciente de ce rendez-vous particulier que lui donne l’existence. Les mois qui viennent seront déterminants. C’est donc avec impatience que nous attendons cette première « édition » qui portera en elle deux cultures et un bel objectif, celui de faire rêver le public.

• Création inspirée d’un bracelet d’esclave.
Ahmed a travaillé à partir de la collection d’objets anciens que possède le Sultan d’Agadez. « Nous avons un Président, mais les régions ont conservé un chef qui règle les affaires selon la tradition ». Les orfèvres travaillent pour lui. « Quand j’ai vu ces bracelets en bronze qui étaient placés autour des bras et des chevilles, symboles de l’asservissement, j’ai tout de suite pensé à une forme moderne, légère et libérée faite en ébène et incrustée d’argent ». Le modèle réalisé est magnifique…

 
• En Europe, Ahmed Attaher a tissé des liens avec la France, l'Espagne et l'Allemagne où se trouvent plusieurs points de vente de bijoux touaregs. Faire connaître cet artisanat d’art est important. Cette prise de conscience est essentielle pour le devenir de gestes que les ethnies conservent depuis des siècles. Soudées, les familles préservent ces acquis de génération en génération. Ahmed Attaher est le gardien d'une tradition ancestrale. C’est lui qui a été choisi pour la perpétuer (chaque enfant de la fratrie est toutefois initié). La chaîne doit rester intacte et Ahmed est heureux, sa femme Mina vient de lui donner un petit garçon !

• La situation au Niger :
Il y a moins de problèmes avec Boko Haram, semble-t-il, mais de nombreux réfugiés venant des pays déstabilisés par la guerre cherchent refuge au Niger. Ce pays possède, en effet, des frontières avec la Lybie, l'Algérie, le Mali (où les Islamistes sont très présents), le Bénin, le Burkina Faso, le Nigeria et le Tchad.
Face aux Haoussas qui occupent une large partie de la population, les Touaregs, en moins grand nombre, veulent défendre leur culture. Ecriture, symboles, histoire : chaque témoignage est précieux.


Reportage/photos © Nicole Bertin

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